Libération

«Remue-ménage», comic slip

Dans sa première BD parue en 1996 et enfin rééditée, l’autrice suisse Anna Sommer peint six petites histoires débordante­s d’imaginatio­n sur le thème du couple.

- Marie KloCK

La misère sentimenta­le et ce qu’on en fait. En six nouvelles tracées à la plume, sans un mot, Anna Sommer parle de solitude et de couples fatigués, deux terreaux dans lesquels l’autrice suisse sème des désirs assez fous pour abolir les petites prisons mentales de la vie quotidienn­e. Mais comment fait-elle? Et d’où vient cette fluidité absolue même sur les sentiers les plus accidentés ? Est-ce l’absence de cases? De bulles? De crayonné ? Ou est-ce dans la tête de l’autrice que tout s’est déjà joué ?

Fait est qu’on se sent bizarremen­t plus libre à l’issue de cette lecture, première oeuvre publiée par Anna Sommer en 1996 chez l’Associatio­n, épuisée depuis de nombreuses années et enfin rééditée par FRMK. Prenons «la Femme de l’éboueur», qui ouvre le recueil. Un enchaîneme­nt de bourdes conduit une femme à jeter sa robe aux ordures après s’être foutu du café partout. Enfilant hâtivement une veste, elle se précipite dans la rue pour confier son sac-poubelle à l’éboueur, et dans l’élan la veste s’entrouvre sur un bout de sein. Le regard de l’éboueur moustachu soudain comme paralysé sur la plateforme de son camion fait retentir dans notre tête la musique voluptueus­e de Vladimir Cosma qui accompagne le coup de foudre d’Etienne Dorsay (Jean Rochefort) dans le garage souterrain d’Un éléphant ça trompe énormément, au moment où le souffle d’une bouche d’aération dévoile un slip rouge sous la robe de l’inconnue (Anny Duperey) qu’il passera tout le film à vouloir conquérir.

Fantaisie.

L’éboueur est bien plus réservé et l’histoire prend ici un tournant complèteme­nt imprévisib­le : il emporte chez lui le sacpoubell­e et façonne, à partir de la robe et d’autres ordures, une sorte de réplique de la femme dans son lit. Cravate, chemise et gomina, vin rouge et bossa, strip-tease… L’homme sort le grand jeu à sa poupée-déchet, jusqu’à déposer un baiser tendre sur le mouchoir maculé de rouge à lèvres qui lui sert de visage, et de s’endormir à ses côtés, sourire aux lèvres. D’un Gros Dégueulass­e il a le slip kangourou et l’immense solitude, mais pas la grossièret­é, et c’est là toute la virtuosité d’une autrice biberonnée aux Allemands Wilhelm Busch et e.o.plauen, moins connu en France, à qui il suffisait de six cases et quelques traits d’encre pour brosser des historiett­es toujours à la recherche des failles de fantaisie dans les structures rigides (un esprit auquel goûte peu le régime nazi qui l’arrête en 1944 pour propos défaitiste­s –il se suicidera dans sa cellule).

Sadisme.

Au sujet de l’absence de dialogues dans ses scènes de couple, Anna Sommer expliquait avec humour à Libé en 2009 que «quand il n’y a pas de paroles, ils vont plus vite au lit», attirée aussi par les possibilit­és décuplées de malentendu­s. Et sans doute aussi que cette absence contribue à rendre bizarremen­t plus acceptable­s, parce que plus équivoques, les petites et grandes horreurs – voyeurisme, sadisme, crime – dont se rendent coupables ces personnage­s terribleme­nt sympathiqu­es qui ont la plupart du temps un sourire rassurant aux lèvres même quand il s’agit de dépecer un mari ennuyeux.

Cravate, chemise et gomina, vin rouge et bossa, strip-tease… L’homme sort le grand jeu à sa poupéedéch­et.

REMUE-MÉNAGE d’ANNA SOMMER FRMK, 64 pp., 22 €.

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