La vie est aïeul
Derrière la promesse alléchante d’une pièce documentaire sur la sexualité des personnes âgées via le témoignage de sept d’entre elles, «la Vie secrète des vieux» de Mohamed El Khatib manque finalement de profondeur, cantonnant le spectateur à un rôle de voyeur.
La Vie secrète des vieux, et non pas «la vie sexuelle des vieux», formulation façon documentaire animalier qui aurait sans doute été trop violente. Mais c’est bien de vie sexuelle dont il s’agit, ce qui enchante visiblement et bruyamment les spectateurs dans ce bel endroit un peu chic et tranquille qu’est la Chartreuse de Villeneuve-lezAvignon. La démarche est similaire à celle d’autres spectacles documentaires de Mohamed El Khatib. Elle fait écho en particulier à Mes Parents, où des étudiants du théâtre national de Bretagne évoquaient les leurs, de parents, et déjà leur sexualité, ou à la Dispute, avec une ribambelle d’enfants de 8 ans qui explorait le sujet le plus intime et explosif qui soit : la séparation.
Carotte. Autre segment de population, autre lieu: ici, il s’agit donc de deux hommes, quatre femmes, en chair et en os sur le plateau, plus une «vieille» en vidéo parce que disparue, mais qui n’est pas morte de sa belle mort, on l’apprendra plus tard, tous rencontrés dans différents Ehpad, celui des Blés d’or à Chambéry, des Herbes folles à La Rochelle, et dans une maison de retraite à Bruxelles. Les six jouent plutôt bien la fausse spontanéité et solidairement. Certaines semblent beaucoup plus jeunes que leur âge, et pourtant ils ont tous entre 76 et 102 ans selon la distribution, qui variera donc – tout comme leurs confessions ? Ils sont accompagnés d’une aide soignante jouée par l’excellente Yasmine Hadj Ali (on entend Yasmine Adjani lorsqu’elle dit son nom).
Qu’est-ce qui cloche pour qu’on reste en rade, légèrement exclue de la liesse qui s’empare du public ? Est-ce l’afflux de détails triviaux, telle cette carotte qui trouble Micheline au point qu’elle s’en saisisse avant de la plonger dans le potage ? La déferlante de bons mots – «Je suis passée des bas de séduction au bas de contention» ? Mohamed El Khatib est en retrait sur le plateau, intervenant de temps à autre pour relancer cette causerie très écrite et contenir l’imprévu, mais ne livre rien de ce que produit sur lui cette série de témoignages imbriqués et évidemment rien sur sa propre vie sexuelle ou affective.
«Orgasme». Evidemment? Ce n’est pas le sujet? Dans ce spectacle en particulier, on aurait eu besoin d’un contre-don, qui ne consiste pas uniquement en la réalisation du produit fini. Sa parole et son point de vue auraient pu faire contrepoint et susciter une profondeur bienvenue, là où l’anecdote prédomine. On reste en surface, ce qui ne serait pas dérangeant si ce surplomb ne nous plaçait en position de voyeur. La superficialité n’est pas imputable aux acteurs ni à leurs paroles, mais bien à la manière dont elles sont restituées. Ainsi, le récit de Sali qui explique face public avoir eu son «premier orgasme à 65 ans» en dépit de sa pléthore de maris, et dont la fille a demandé il y a peu «Maman, est-ce que tu niques encore ?», ce qui l’a fait beaucoup rire. Qui est Sali? Quelle fut sa vie? Pourquoi cet orgasme tardif et comment affecte-t-il le public ? Un propos de Jane Birkin, dans le documentaire Jane B. par Agnès V. d’Agnès Varda revient en mémoire : «Finalement, on a beau vider son sac, on ne dévoile pas grand-chose.» C’est d’autant plus dommage que la puissance discrète de certains témoignages – encore Micheline, qui raconte comment, pendant des années, elle a soutenu que seule sa compagne était homosexuelle – soit recouverte sous les bons mots. Mohamed El Khatib sait concevoir avec la même technique, mais sans doute plus de temps ou d’exigence, des spectacles qui sont des flèches, et en premier lieu, le sidérant C’est la vie. Ou encore Gardien Party coécrit avec l’autrice Valérie Mréjen, sur les gardiens de musée, qui accordait à chaque protagoniste sa singularité aiguisée et rêveuse. Le décalage, l’incise, l’ambiguïté, l’ellipse : ce qui manque ici, ou comment la générosité n’est pas forcément un cadeau.
LA VIE SECRÈTE DES VIEUX
de MOHAMED EL KHATIB
Jusqu’au 19 juillet, à 18 heures à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, puis tournée. Au théâtre des Abbesses, à Paris, du 12 au 26 septembre.