Après Moscou, Viktor Orbán en roue libre diplomatique à Pékin
Le Premier ministre hongrois, qui a pris la présidence tournante de l’UE, multiplie les déplacements et les provocations, brouillant à dessein la politique étrangère communautaire. Après l’Ukraine et la Russie, il a atterri lundi en Chine.
Depuis une semaine, Viktor Orbán est en mission. Officiellement, le Premier ministre hongrois agit «pour la paix». En l’espace de quelques jours, il s’est rendu coup sur coup à Kyiv et à Moscou, d’atterrir à Pékin lundi, toujours avec ce mot à la bouche. Le timing a été préparé avec soin : il y a une semaine, la Hongrie a aussi pris la présidence tournante de l’Union européenne pour six mois. A chacun de ses déplacements, Orbán joue de l’ambiguïté de la situation pour s’avancer comme le représentant de l’Union européenne, ou pour laisser ses interlocuteurs le présenter comme tel, tout en agissant à l’inverse de la politique commune européenne. Sa tournée est organisée comme celle d’une superstar. A chaque étape, son clip. Le premier, lors du passage d’Orbán à Bruxelles pour lancer la présidence hongroise de l’UE, jouait dans le registre du groupe de rock. Le deuxième, pour sa première visite à Kyiv depuis le début de la guerre, tenait presque du road trip, tant l’accent était mis sur la longueur de la route («2 100 kilomètres, dix pauses, vingt-quatre heures de route») plutôt que sur les ravages de la guerre. Le troisième, à Moscou, penche plutôt vers la bande-annonce d’un James Bond, sans les explosions. Pour achever d’agacer les Européens, toutes ces vidéos se terminent par le logo de la présidence hongroise de l’UE.
Remontrances. «La présidence tournante n’a pas pour mandat de dialoguer avec la Russie au nom de l’UE. Le Conseil européen est clair : la Russie est l’agresseur, l’Ukraine est la victime. Aucune discussion sur l’Ukraine ne peut avoir lieu sans l’Ukraine», a sermonné Charles Michel, le président du Conseil européen après la visite d’Orbán, qui était le premier dirigeant de l’Union européenne à se rendre à Moscou depuis le début de la guerre en février 2022. Ces remontrances n’ont eu aucun effet. Orbán a appliqué exactement la même méthode à Pékin.
Avec cette tournée diplomatique, l’enfant terrible de la politique européenne poursuit plusieurs objectifs. En piétinant les principes de la politique étrangère européenne, il tente de saper l’unité de l’Union européenne et sa crédibilité sur la scène internationale. En multipliant les rencontres de haut niveau, y compris avec un pestiféré comme Vladimir Poutine, il veut se présenter comme un dirigeant incontournable, casser l’image de leader marginalisé qui lui colle à la peau en Europe depuis l’invasion de l’Ukraine. L’annonce de la création, sous son impulsion, du nouveau grand groupe d’extrême droite des «Patriotes» au Parlement européen joue aussi en ce sens.
Pour Viktor Orbán, peu importe que cette «mission de paix» auto-attribuée soit un échec évident, peu importe que la Russie ait tiré lundi 40 missiles sur les villes ukrainiennes, en ravageant un hôpital pour enfants à Kyiv. Ce qui compte, c’est de se présenter comme le seul négociateur capable de parler à tous, Ukrainiens, Russes et Chinois. «Le président Xi nous a dit clairement aujourd’hui qu’il allait continuer ses efforts pour créer la paix. Nous ne sommes pas seuls», a-t-il souligné depuis le tarmac de l’aéroport de Pékin. Cette posture est pousavant sée si loin qu’elle pose une question de plus en plus pressante : qui sont les véritables alliés de la Hongrie ? L’UE et l’Otan ou la Chine et la Russie ?
Inquiétude.
Les voyages du Premier ministre ont été organisés en secret, dans le dos des Occidentaux et des journalistes, réduits à suivre les mouvements des avions officiels hongrois pour tenter de deviner la prochaine «surprise» concoctée par Orbán. Dans l’appareil qui le ramenait de Moscou vendredi, ce dernier en parlait sans fard. «J’ai envoyé un message secret à mon ministre des Affaires étrangères [qui s’est rendu à Moscou au moins six fois depuis le début de la guerre, ndlr] pour organiser quelque chose, puisque les télécommunications sont complètement sous la surveillance des “big guys”. J’essayais de garder l’affaire sous le tapis», a-t-il expliqué au média suisse Weltwoche, avant de qualifier Poutine «d’ami».
Preuve du choix des priorités de Budapest, une rencontre prévue lundi entre le ministre des Affaires étrangères hongrois et son homologue allemande a été annulée à la dernière minute pour que Péter Szijjártó accompagne plutôt Orbán à Pékin. D’autres voyages pourraient suivre. Plusieurs observateurs évoquent une potentielle rencontre avec Donald Trump, dont un retour à Maison Blanche ravirait le Premier ministre hongrois.
Ces provocations à répétition sont une source d’inquiétude pour l’UE. La présidence tournante hongroise doit durer six mois, qui risquent de paraître bien longs si Orbán continue à imposer son agenda géopolitique. Daniel Hegedus, chercheur au German Marshall Fund, appelle les Européens à réagir immédiatement. «Les Etats membres peuvent encore abréger la présidence hongroise et avancer la date de début de la présidence polonaise [la prochaine dans la liste] au 1er septembre.» Un processus encore jamais utilisé, qui pourrait être mis en oeuvre si le président du Conseil européen en prend l’initiative et si une majorité qualifiée d’Etats votent en ce sens.