Qui portera le chapeau de l’échec ?
Annoncé vainqueur des législatives, le parti de Marine Le Pen est finalement arrivé en troisième position. Entre les «erreurs de casting» et les problèmes de formation, le mouvement cherche déjà son bouc émissaire.
En général, quand le Rassemblement national rate une élection, ses dirigeants du moment se réunissent en séminaire pour dresser le bilan de leur échec. La plupart du temps il n’en ressort pas grand-chose et la stratégie ne s’en trouve guère modifiée mais cela permet, occasionnellement, de purger le bouc émissaire sur lequel on se sera accordé. En 2016, les hiérarques du parti d’extrême droite s’étaient creusé la tête pour comprendre les raisons du plafond de verre qui les avait empêchés de décrocher une région, malgré des scores élevés aux seconds tours. La sortie de l’euro, alors proposition phare du programme, avait été pointée du doigt comme repoussoir pour les électorats retraité et CSP +, réfractaires au FN. A l’été 2017, après l’échec à la présidentielle, rebelote. Les gradés du parti d’extrême droite s’étaient retrouvés en «séminaire de la refondation», actant les lignes de fractures sans les résoudre. La réunion de famille préparait surtout la mise au rebut de Florian Philippot, qui claqua la porte quelques mois plus tard.
Qui portera cette fois le chapeau de la contre-performance du RN aux législatives? Annoncé vainqueur des législatives, persuadé d’obtenir la majorité absolue des sièges à l’Assemblée ou, dans le pire des cas, une historique majorité relative, le parti d’extrême droite se retrouve finalement troisième avec 142 députés, contre 88 lors de la précédente mandature. Si aucun séminaire n’est pour l’instant prévu, l’ambiance était, lundi, à l’examen de conscience. «On commet tous des erreurs, j’en ai commis et je prends ma part de responsabilité dans ce résultat», a reconnu le président du RN, quand Marine Le Pen a invité les siens sur X (ex-Twitter) à «faire aussi le bilan de ce qui peut être, incontestablement, amélioré dans l’avenir».
«Efforts à faire»
Le matin même, auprès du Monde, un très proche de la patronne, Bruno Bilde, député du Pas-de-Calais, avait mis les pieds dans le plat, repoussant les faciles attaques contre les «magouilles électorales», ressassées depuis la veille par les porte-parole de son mouvement sur les plateaux télé. «On ne peut plus continuer comme ça […] On peut disserter sur le fait que le mode de scrutin est injuste, qu’on aurait dû avoir plus de sièges, mais quand vous avez beaucoup de circonscriptions qui se perdent à plus de 48 %… La crédibilité des candidats est un élément très important. Il y a clairement un problème dans nos fédérations départementales», pointe cet ancien homme fort de l’appareil frontiste, écarté de toutes les instances du parti, notamment de la Commission nationale d’investiture après l’élection de Bardella à la présidence du RN en 2022. Et d’inviter l’actuelle direction à se pencher «sur ce problème qui a parasité l’intégralité de la campagne, et surtout l’entre-deux-tours».
Mis en cause par Bilde, le chef de parti a reconnu «des efforts à faire, à la fois sur la professionnalisation de notre implantation locale, peutêtre sur le choix d’un certain nombre de candidats». «Je le dis clairement, sur quelques circonscriptions, les choix que nous avons faits n’étaient pas les bons et je prends ma part de responsabilité aussi», a-t-il de nouveau ajouté.
Au casse-pipe
Si on peut douter que Bardella fasse les frais de la séquence, deux cadres d’importance pourraient se faire tirer les oreilles. A commencer par le directeur général du parti, Gilles Pennelle, exproche du courant racialiste de Pierre Vial, responsable du fameux «plan Matignon», en investissant les candidats ou les délégués départementaux, chargés de repérer les possibles champions et de séparer le bon grain de l’ivraie. Dans le Calvados, par exemple, le passé très radical du délégué frontiste, ancien d’Ordre nouveau (ce qu’il revendiquait avec fierté dans un reportage exhumé par Quotidien), a sans doute endormi sa vigilance sur plusieurs profils de candidats ou suppléants problématiques.
Elu député européen, Pennelle devrait s’éloigner de la gestion de l’appareil.
A côté des «erreurs de casting», de multiples débats télévisés ont jeté une lumière crue sur le grave problème de formation au sein du mouvement. Ce sont les oreilles du sondeur Jérôme Sainte-Marie qui, cette fois, devraient siffler. Chargé de la formation théorique du parti, cet ancien chevènementiste a créé en grande pompe l’école des cadres du parti au très pompeux nom de «campus Héméra», qui se résume pour le moment à un site internet pourvu en cours professés par des cadres du mouvement, parfois sans micro-cravate, et en quelques weekends de formation réservés à une élite de militants, souvent salariés. Aucun contenu, ou presque, sur le programme lepéniste, aucun argumentaire disponible pour le défendre mais une histoire de l’extrême gauche trotskiste et une introduction à Antonio Gramsci et au combat culturel. Malgré les moyens exceptionnels dont dispose le RN depuis l’élection de 89 députés en 2022 (l’élection de la RN Anne-Sophie Frigout a ensuite été annulée), la professionnalisation du parti n’a guère avancé et les candidats sont toujours envoyés au casse-pipe, sans préparation. S’il est assez puni par sa défaite aux législatives dans les Hautes-Alpes, Sainte-Marie est déjà la cible du flanc libéral-réactionnaire de l’extrême droite qui ne lui pardonne pas son analyse jugée marxiste des rapports de force politiques. A moins que la direction du RN ne trouve un autre bouc émissaire. Réponse au prochain séminaire.
Si aucun séminaire n’est prévu, l’ambiance était, lundi, à l’examen de conscience.