Libération

«Là, depuis hier, j’ai un espoir»

Au lendemain de la victoire du NFP, les électeurs de gauche, à Marseille ou près de Paris, font part de leurs attentes.

- STépHANie HArouNyAN à Marseille et SAScHA GArciA à Ivry-sur-Seine Photo THéo GiAccoMeTT­i. HANS LucAS

La Plaine a la gueule de bois. La veille, la plus grande place de Marseille était le point de ralliement de près de 5 000 électeurs de gauche heureux, chantant la victoire et surtout le score moins ambitieux qu’annoncé du RN. Lundi midi, Demba, tenue jaune de service, ramasse des débris de bouteille. «Ça ne fait pas longtemps que j’ai ce travail, reconnaît-il. Mais j’ai entendu dire qu’ils voulaient augmenter le smic.»

A Marseille

Sur le banc près des jeux pour enfants, Marie, 34 ans, et Balla, 40 ans, surveillen­t leurs deux garçons. Lui est un binational franco-sénégalais. La défaite du RN sonne surtout comme un «soulagemen­t», explique Marie. «Même si ce matin, arrivent toutes les questions: est-ce que cela va permettre de bouger les choses ? Dans son programme, le Nouveau Front populaire annonçait d’importante­s mesures, j’aimerais que tous ceux qui se sont bougés ne soient pas déçus.» Radhia s’est installée à la terrasse du restaurant pakistanai­s pour sa pause repas. «Mélenchon dit qu’il veut appliquer le programme, sauf qu’ils n’ont pas la majorité. J’ai peur que ce discours divise et rebute ceux qui n’ont pas voté à gauche…» Sans parler des querelles au sein de l’union. «C’est comme une relation amoureuse, quand c’est rapide, c’est fragile. Mais j’ai de l’espoir.» Elle gère un institut de beauté bio dans le quartier : «Je sais qu’ils ont prévu d’augmenter les impôts pour les entreprise­s, si ce sont les grosses structures qui ont les moyens de payer plus, pourquoi pas ? Mais j’attends surtout d’eux qu’ils réussissen­t à unir les Français.» C’est la pause-café frappé pour Joël, 27 ans, salarié dans une salle de spectacle. Il voudrait surtout des premières mesures pour les plus précaires, milite pour une économie locale, contre l’évasion fiscale. «On est dans un moment où l’on a des opportunit­és. Après, ce qu’ils vont en faire… Et vont-ils réussir à s’entendre ? Il faudrait qu’ils règlent en priorité les sujets sur lesquels ils sont tous d’accord.»

L’inquiétude et la méfiance glissent sur le soulagemen­t d’Evelyne, à la terrasse du café voisin. «Je suis encore un peu surprise, dit de sa voix douce la retraitée de 68 ans. La semaine dernière, j’imaginais déjà le chaos total, alors je suis encore sonnée par ce résultat !» C’est sur le pouvoir d’achat qu’elle voudrait voir la gauche agir. «C’est surtout pour ma fille que je m’inquiète. J’en étais au point de me dire qu’il faudrait qu’elle ne fasse pas d’enfant… Là, depuis hier, j’ai un espoir.»

A Ivry

Midi et demi. Le centre commercial Jeanne-Hachette, à Ivry-sur-Seine, connaît un sursaut d’activité. C’est l’heure de la pause déjeuner. Entre les vitrines délabrées, une boulangeri­e, un supermarch­é et une brasserie. Chariot rempli, Fatima baisse la voix : «Moi j’ai voté Mathilde Panot.» Pas la peine d’en faire un secret : ici, dans la 10e circonscri­ption du Val-deMarne, plus de 25000 personnes ont élu l’insoumise, dès le premier tour. «Je suis contente d’une seule chose, c’est que le RN ne soit pas passé.» L’agente administra­tive, 52 ans, fait les comptes. Avec la réforme des retraites, elle en a pour douze ou treize ans. L’abroger, «oui, mais est-ce que c’est faisable ?» se demande-t-elle. C’est qu’elle n’avait pas pensé à la suite, le barrage contre l’extrême droite en seule ligne de mire. Son mari est tunisien et son fils, binational.

Marine et Gabriella, deux jeunes archéologu­es, retournent travailler, les mains enlacées. Soulagées par la victoire du NFP, sans pour autant décrisper les muscles. «Ma copine est colombienn­e, on avait peur que l’extrême droite ne complexifi­e le renouvelle­ment» de son titre de séjour, dit la première. «La gauche doit à tout prix sécuriser certains droits.» «En tant que personne queer, avec un métier précaire, on en attend beaucoup. […] Vivre sous un gouverneme­nt de gauche, oui ça m’aiderait», estime-t-elle. Tout le contraire de Bianca, prête à enfourcher son vélo. A 36 ans, cette commercial­e franco-portugaise dit gagner «très bien» sa vie et milite pour une meilleure répartitio­n des richesses: «Ça ne me pose pas de soucis d’être plus imposée.» Ya Yaside, 35 ans, sort tout juste du chômage. Il revient de France Travail. Il espère que la réforme de l’assurance chômage, mise en pause, sera bien écartée. «Quand on nous promet le smic à 1 600 euros, ça met du baume au coeur. Mais est-ce qu’ils vont vraiment le faire et comment ?»

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Jöel Valoroso le Tellier, à la tête d’une salle de spectacle.
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Radhia Rachid, gérante d’un institut de beauté.
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Evelyne Porte, retraitée depuis quatre ans.

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