Le graffiti encré dans l’histoire
Avec un parcours dynamique et revendicatif, l’exposition imaginée par Hugo Vitrani, «Au nom du nom», fait l’archéologie de la peinture de rue et la part belle à ce «langage des contestations».
Allez savoir pourquoi, mais, assez paradoxalement, compte tenu de l’ampleur du déballage, on s’est surpris à lister des «lacunes». Comme l’absence de représentation de l’art pariétal, au sens le plus préhistorique du terme, sans lequel rien de tout cela n’aurait jamais existé. Ou, plus proche de nous, puisque ne nécessitant qu’une marche arrière légèrement inférieure à un siècle, l’impasse faite sur Brassaï, qui inventoriait tous ces dessins et signes cabalistiques griffant les murs de Paris – devenant de la sorte un des
Orgie nécessaire d’images, «Au nom du nom» ne dédaigne pas non plus les mots
premiers thuriféraires d’une culture populaire, d’autant plus accessible qu’ayant choisi pour terrain de jeu, l’espace public.
Donc, ici, nulle bestiole du paléolithique ou dieu phallique offerts à la contemplation. Mais de là à faire la fine bouche… Car «Au nom du nom» reste bien une somme –comme on dirait en littérature – qui, à l’église Sainte-Anne, célèbre en grande pompe le graffiti. Cette peinture «du déséquilibre», de «l’urgente patience», de «la faille», ce «langage des contestations», entre autres pistes balisées par le commissaire, Hugo Vitrani. Un hommage aussi, tout simplement, à ceux (surtout) et celles qui, par photographes interposés, se retrouvent aujourd’hui dans une lumière longtemps proscrite par le contexte illégal dans lequel leur imaginaire proliférait. Parcours pléthorique, dynamique et libre, puisque aussi revendicatif qu’effronté, la mosaïque rassemble une quarantaine de noms qui, souvent dans le tourbillon ayant caractérisé l’essor de ce qu’on dénommera les «cultures urbaines», autour des années 80-90, ont donc documenté une époque au croisement de l’espoir et de la colère.
Evidemment, New York se taille la part du lion, quand Paris ou Hongkong jouent des coudes pour tenter d’épater la galerie. A l’exemple du noir et blanc de l’Américaine Martha Cooper, qui, travaillant pour le New York Post, ancre le phénomène artistique dans la misère sociale des quartiers défavorisés. Ou encore, à l’autre extrémité de la chronologie, ces quatre minutes de vidéo (l’image animée occupant la portion congrue) montrant en action le Français Saeio, une des figures emblématiques de la mouvance, en 2016, un an avant sa mort, à 30 ans, dans un accident de voiture. Une ode à la créativité, qu’accompagnent juste quelques notes de musique, elliptiques et suspendues, là où, une bande-son hip-hop, trop attendue, aurait rencontré l’écueil de la redondance.
Mais, orgie nécessaire d’images, «Au nom du nom» ne dédaigne pas non plus les mots. Tels ceux du désormais octogénaire Gérard Zlotykamien, dit Zloty, ex-disciple (y compris sur le tatami) d’Yves Klein, qui, autrefois, écrivit à sa grand-mère : «Les artistes qui travaillent dans les rues, sur les murs, refusent le pourrissement et la mort des démocraties.» Un présent de l’indicatif qu’en 2024, on a encore tout loisir de méditer.
AU NOM DU NOM, LES SURFACES SENSIBLES DU GRAFFITI
Exposition collective, église Sainte-Anne, jusqu’au 29 septembre.