Mary Ellen Mark A foi haute
Intitulée «Rencontres», la rétrospective dédiée à la photographe morte en 2015 synthétise son insatiable envie d’échange, ainsi que l’oeil drôle et empathique de son oeuvre.
En 2022, à la même époque estivale, la discrète mais valeureuse Maison Doisneau de Gentilly, en contrebas du périphérique parisien, hébergeait un hommage à Mary Ellen Mark. Et c’était l’occasion d’admettre qu’on avait sans doute sous-estimé l’importance de cette femme dans l’histoire de la photographie du demi-siècle écoulé. Or deux ans plus tard, voici que les Rencontres d’Arles prennent le relais avec, naturellement, une puissance de feu tout autre, qui fait que, promis juré, on n’oubliera plus de sitôt la native d’Elkins Park, en Pennsylvanie, morte de maladie en 2015, à New York, à 75 ans.
Guignols. Très courue dès les premiers jours, la rétrospective provençale s’intitule, elle aussi, «Rencontres» et l’on pourrait en déduire que le festival ne s’est pas foulé, en lui attribuant un titre aussi redondant que laconique. Pourtant, tout figure bien là, qui, en un mot, synthétise l’insatiable envie d’échange, parfois même démesurément étalée dans la durée, qui l’animera. En corollaire, on soulignera chez la photographe une foi en l’être humain si panoptique qu’elle étreindra dans son viseur aussi bien Mère Teresa, avec qui elle passera du temps à Calcutta, que la frange la plus implacablement raciste de la société américaine, symbolisée par les dangereux guignols du Ku Klux Klan, y compris saisis dans des poses de la vie quotidienne, comme à contrechamps de l’action violente, tel ce jeune homme du Klan, un capirote (le fameux chapeau pointu) sur la tête, paupières closes tenant une petite fille endormie dans ses bras.
«Je me souviens la toute première fois où je suis sortie dans la rue pour faire des images, se remémorait-elle en 1997 dans le magazine spécialisé Communication Arts. Dans le centre de Philadelphie, j’ai commencé à aborder des gens et à les photographier, et je me suis dit : “J’aime ça.” Au point que je n’aurai plus jamais envie de faire autre chose. La question était réglée.» Une licence en peinture et histoire de l’art en poche, c’est donc en direction du photojournalisme que décolle la jeune femme, travaillant pour les gros tirages d’une presse alors omnipotente (Vanity Fair, Rolling Stone, Life, The New York Times Magazine…). Cinq ans membre de l’agence Magnum (19761981), elle trouve aussi un solide gagne-pain en devenant une photographe de plateau aguerrie, sur les tournages de futurs classiques tels que le Satyricon de Fellini ou Apocalypse Now de Coppola (cf. hors Walkyrie, ce portrait de Marlon Brando séduit par une libellule).
Drôlerie. Mais, dans l’esprit de Mary Ellen Mark, la «vraie vie» est ailleurs, imagine-t-on. Ce qui n’est qu’à moitié vrai, puisque, des semaines passées sur le Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman, naîtra une de ses séries les plus illustres – et celle qui, en 1976, validera son premier projet vraiment indé : Ward 81 (les Femmes du bloc 81), une plongée en apnée –trente-six jours et nuits– dans une unité psychiatrique qui, en tandem avec l’écrivaine Karen Folger Jacobs, l’amènera à questionner en profondeur la notion de normalité et, plus globalement, à sonder l’être humain sous toutes les facettes. D’une drôlerie jamais manigancée au détriment d’autrui (cf. la pause clope d’un père noël costumé dans une cafétéria) à une compassion exempte de commisération, quand il s’agit de fréquenter les laissés-pour-compte, du fin fond du Kentucky rural aux bordels interlopes de Bombay. Entre autres distinctions, Mary Ellen Mark recevra un prix World Press Photo, en 1988, «pour la qualité exceptionnelle de son travail au fil des ans». On ne saurait être plus clair.
RENCONTRES de MARY ELLEN MARK à l’espace Van Gogh, jusqu’au 29 septembre.