Que restera-t-il du Nouveau Front populaire ?
Créée dans l’urgence, l’alliance de gauche risque d’être rattrapée par ses divisions internes, avec un Mélenchon devenu clivant jusque dans son propre parti.
Les négociateurs de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) ont longtemps aimé refaire le film de l’accord scellé en 2022. Comme les gens qui ont appris à raconter leur rencontre, à chacun sa part du récit, socialistes, insoumis, écolos et communistes narraient les premières impressions, les incompréhensions et la complicité naissante dans un mélange d’anecdotes, d’éclats de rire après les coups de colère aux soupçons de micros cachés dans la salle des négociations. Deux ans plus tard, après avoir appris à se connaître pour mieux se déchirer, les partenaires ont renoué en créant le Nouveau Front populaire. Mais cette fois, c’est l’enjeu dramatique du scrutin qui a imposé une alliance sans effusion de joie.
«Nous sommes d’accord sur le programme, mais pas avec les méthodes.»
Raquel Garrido à propos de Mélenchon
Outrances. La gauche sortait alors d’une campagne européenne qui a tourné à l’affrontement. Cible d’attaques insoumises, Raphaël Glucksmann, la tête de liste du Parti socialiste et de Place publique, a fini par assumer une confrontation avec JeanLuc Mélenchon, mis en cause pour ses outrances et son ambiguïté sur l’antisémitisme. Après l’annonce de la dissolution et l’appel à la constitution d’un «front populaire», lancé par François Ruffin, les discussions ont d’ailleurs commencé sans la direction insoumise. Etait-il possible de lancer une dynamique unitaire entre socialistes, écologistes, communistes et frondeurs insoumis, ouverte à tous ceux qui désireraient la rejoindre, en laissant de côté Mélenchon et ses lieutenants ? Fallait-il du moins commencer sans eux, pour les affaiblir? Marine Tondelier a coupé court aux interrogations. Dans la nuit du dimanche au lundi, la secrétaire nationale des Ecologistes s’est rendue au siège des insoumis. Impossible, pour elle, de faire sans eux.
Ce sont donc des négociations embuées de rancoeurs et d’amertume qui se sont déroulées jusqu’à l’accord. Mais à peine conclu, les insoumis publient leur liste d’investitures, qui écarte des figures critiques de la direction. La rupture qui grondait au sein de LFI est actée. Et avec elle, c’est toute la gauche qui se fissure un peu plus, les partenaires des insoumis y voyant une preuve de leur «sectarisme». Fidèle pendant trois décennies, Alexis Corbière, lui-même désinvesti en Seine-Saint-Denis, a dénoncé «une purge absurde, indécente, alors que l’extrême droite menace». «Nous avons marqué notre différence avec Mélenchon quand il a commencé à se quereller avec les partenaires, le mouvement syndical et féministe parce que nous avions à coeur de fabriquer du commun, a exposé Raquel Garrido, dans le même cas. Nous sommes d’accord sur le programme, mais pas avec les méthodes de Mélenchon.» Le député sortant François Ruffin a, de son côté, acté le «divorce», désignant le leader insoumis comme un «boulet», un «obstacle au vote».
«Il faut quoi ? Que Mélenchon arrête de parler ? De faire campagne ? A qui d’autre on demande ça ?» s’insurge Manuel Bompard, coordinateur de LFI. Tout à son rôle de trait d’union, Tondelier a déjeuné la semaine dernière avec l’ex-candidat à la présidentielle, qui ne parle plus à ses homologues socialistes et communistes. «J’ai fait 22 %, j’ai consacré 90 % de ma vie à la politique et vous voulez que je me taise ? s’indigne l’ex-socialiste à qui veut l’entendre. Et Hollande, on lui demande de se taire ?» Comment, dès lors, le NFP peut-il perdurer ? Alors que la perspective d’une majorité absolue pour l’extrême droite s’éloigne, l’hypothèse d’un gouvernement de coalition émerge. Certains imaginent une équipe allant «de Ruffin à Xavier Bertrand» avec des socialistes, des communistes et des écologistes. «Que les choses soient claires : je ne participerai pas à une coalition-cohabitation, un gloubi-boulga improvisé sous domination d’Emmanuel Macron», a prévenu Ruffin. Mais certains à gauche n’écartent pas l’hypothèse. Un tel scénario couperait le NFP en deux, les insoumis refusant en bloc toute participation à un gouvernement d’union.
Péril. Quoi qu’il arrive, une partie de la gauche pense la reconstruction sans la direction insoumise. «LFI substitue la grille de lecture identitaire à la grille sociale, c’est une erreur historique, se désole un cadre socialiste. La créolisation, oui, mais pour cela, il ne faut pas assigner les gens à des identités. La gauche doit se battre contre ça, et vite.»
Du Nouveau Front populaire, il restera donc la preuve que, face au péril, la gauche sait mettre ses divergences de côté pour s’unir. Ces trois semaines de campagne auront aussi permis de consolider un programme commun, salué par des économistes, de resserrer des liens ou de faire émerger des figures, comme Marine Tondelier. Mais après le 7 juillet, la gauche reprendra probablement très vite le chemin qui se dessinait avant la dissolution. Soit une recomposition avec, d’un côté Mélenchon et ses lieutenants, de l’autre le reste de la gauche qui tentera de s’unir derrière une candidature commune à la prochaine présidentielle.