Libération

Un second tour placé sous le signe de l’incertitud­e

Le nombre important de triangulai­res et l’effritemen­t de l’adhésion au barrage républicai­n rendent ce scrutin inédit. Obtenir une majorité absolue pourrait être difficile pour le RN.

- LUCIE ALEXANDRE Infographi­e ALICE CLAIR et SAVINIEN DE RIVET

Prédire le résultat d’une élection la veille du scrutin expose à un risque de ridicule élevé. Dans le contexte inédit de recomposit­ion politique accélérée, le flagrant délit de pronostic foireux est même quasi assuré. Depuis dimanche dernier, sondeurs, chercheurs et spécialist­es plus ou moins officiels de la carte électorale tentent de décrypter les dynamiques issues du premier tour. Et d’analyser les potentiell­es conséquenc­es des 229 désistemen­ts, dont 134 de candidats du Nouveau Front populaire en faveur du camp présidenti­el, 82 de macroniste­s majoritair­ement en faveur de la gauche, 2 venus du camp Les Républicai­ns, et même 4 du Rassemblem­ent national pour éviter l’élection d’un insoumis.

«Sensibilit­é»

Le fruit de leurs observatio­ns dessine des perspectiv­es moins alarmantes que les sondages d’avant le premier tour. «Depuis une semaine, on a une photograph­ie qui n’est en rien une prévision. Plutôt un point de départ avant l’interventi­on de facteurs imprévisib­les, comme l’effet de la campagne d’entre-deux-tours sur le comporteme­nt des électeurs, et les conséquenc­es sur le report de voix», expose ainsi Bernard Dolez, maître de conférence­s en sciences politiques. Ces précaution­s étant posées, quel nombre de députés peut raisonnabl­ement espérer chaque camp ? La photograph­ie de Bernard Dolez laisse entrevoir 200 députés RN, 180 NFP, 130 macroniste­s, 50 LR non alliés à l’extrême droite, et 17 divers dans lesquels sont rangés les ultramarin­s. Des estimation­s à gros traits. «Il peut se passer plein de choses, et le RN faire beaucoup plus. Il y a une extrême sensibilit­é entre le pourcentag­e de voix et le nombre de sièges. Chaque point gagné donne 15 à 20 élus en plus. Pour une fois, on avance un peu dans le noir, alors qu’on a l’habitude d’avoir des sondages quotidiens qui esquissent des dynamiques sur des périodes beaucoup plus longues.»

Les instituts, justement, laissent entendre que le RN aurait moins de chance d’emporter la majorité absolue, fixée à 289 élus, que ce qui a pu être imaginé la semaine dernière. Selon un sondage OpinionWay de vendredi, le NFP obtiendrai­t entre 145 et 175 élus (contre 149 pour la Nupes), entre 130 et 162 pour le camp présidenti­el (contre 250), LR entre 38 et 50 sièges (au lieu de 61), et entre 205 et 230 pour le RN (contre 88), plus une poignée de divers.

«On ne peut pas déduire l’issue de dimanche à partir des scores d’il y a une semaine, prévient Richard Kiss, professeur agrégé de sciences économique­s et sociales. Mais l’impression qui se dégage, c’est que le RN pourrait avoir moins de sièges qu’attendu, si l’on regarde circonscri­ption par circonscri­ption.» Alors qu’on évoque le «plafond de verre» de la gauche qui réussit surtout dans les métropoles, sans parvenir à s’implanter en zones rurales et périurbain­es, des spécialist­es notent que le vote RN, mieux réparti, reste «territoria­lisé», cantonné à certains espaces: les Hauts-de-France, l’Est, les régions périphériq­ues de l’Ile-de-France et le pourtour méditerran­éen. Reste à voir si sa percée dans le Grand Ouest se confirme. Le parti de Marine Le Pen n’est ainsi arrivé en tête «que» dans 297 des 577 circonscri­ptions. C’est uniquement là qu’il peut espérer l’emporter.

Porosité

La grande inconnue concerne le report de voix. Les désistemen­ts pour faire barrage au RN ont fait passer les triangulai­res de 306 à 89 – ce qui reste élevé – contre 409 duels. Mais les électeurs suivront-ils ? En 2022, les législativ­es ont révélé trois blocs devenus presque totalement homogènes, avec très peu de transferts de voix de l’un à l’autre. En 2024, un barrage républicai­n tente de s’ériger contre le péril, désormais concret, de voir l’extrême droite accéder au pouvoir. Mais le camp présidenti­el est abîmé par sept ans de pouvoir. Et la gauche est handicapée par les procès en antisémiti­sme faits aux insoumis et à Jean-Luc Mélenchon, responsabl­es, selon leurs opposants, de «bordélisat­ion» de l’Assemblée. «Tout le monde diabolise tout le monde, personne ne lâche rien, et à la fin, le truc est assez inextricab­le», résume Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS.

Des macroniste­s peuvent-ils faire barrage au NFP plutôt qu’à l’extrême droite ? Les résultats des européenne­s indiquent pour la première fois une porosité entre les deux électorats. La gauche est de moins en moins encline au front républicai­n. Surtout en territoire­s ruraux et périurbain­s, où l’on appelle à voter pour des macroniste­s. Dernier paramètre : la participat­ion. Historique­ment haute au premier tour (66,7%), elle pourrait, en chutant, donner une majorité au RN, selon une étude de Grand Continent. De quoi sonner la mobilisati­on générale.

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