Un second tour placé sous le signe de l’incertitude
Le nombre important de triangulaires et l’effritement de l’adhésion au barrage républicain rendent ce scrutin inédit. Obtenir une majorité absolue pourrait être difficile pour le RN.
Prédire le résultat d’une élection la veille du scrutin expose à un risque de ridicule élevé. Dans le contexte inédit de recomposition politique accélérée, le flagrant délit de pronostic foireux est même quasi assuré. Depuis dimanche dernier, sondeurs, chercheurs et spécialistes plus ou moins officiels de la carte électorale tentent de décrypter les dynamiques issues du premier tour. Et d’analyser les potentielles conséquences des 229 désistements, dont 134 de candidats du Nouveau Front populaire en faveur du camp présidentiel, 82 de macronistes majoritairement en faveur de la gauche, 2 venus du camp Les Républicains, et même 4 du Rassemblement national pour éviter l’élection d’un insoumis.
«Sensibilité»
Le fruit de leurs observations dessine des perspectives moins alarmantes que les sondages d’avant le premier tour. «Depuis une semaine, on a une photographie qui n’est en rien une prévision. Plutôt un point de départ avant l’intervention de facteurs imprévisibles, comme l’effet de la campagne d’entre-deux-tours sur le comportement des électeurs, et les conséquences sur le report de voix», expose ainsi Bernard Dolez, maître de conférences en sciences politiques. Ces précautions étant posées, quel nombre de députés peut raisonnablement espérer chaque camp ? La photographie de Bernard Dolez laisse entrevoir 200 députés RN, 180 NFP, 130 macronistes, 50 LR non alliés à l’extrême droite, et 17 divers dans lesquels sont rangés les ultramarins. Des estimations à gros traits. «Il peut se passer plein de choses, et le RN faire beaucoup plus. Il y a une extrême sensibilité entre le pourcentage de voix et le nombre de sièges. Chaque point gagné donne 15 à 20 élus en plus. Pour une fois, on avance un peu dans le noir, alors qu’on a l’habitude d’avoir des sondages quotidiens qui esquissent des dynamiques sur des périodes beaucoup plus longues.»
Les instituts, justement, laissent entendre que le RN aurait moins de chance d’emporter la majorité absolue, fixée à 289 élus, que ce qui a pu être imaginé la semaine dernière. Selon un sondage OpinionWay de vendredi, le NFP obtiendrait entre 145 et 175 élus (contre 149 pour la Nupes), entre 130 et 162 pour le camp présidentiel (contre 250), LR entre 38 et 50 sièges (au lieu de 61), et entre 205 et 230 pour le RN (contre 88), plus une poignée de divers.
«On ne peut pas déduire l’issue de dimanche à partir des scores d’il y a une semaine, prévient Richard Kiss, professeur agrégé de sciences économiques et sociales. Mais l’impression qui se dégage, c’est que le RN pourrait avoir moins de sièges qu’attendu, si l’on regarde circonscription par circonscription.» Alors qu’on évoque le «plafond de verre» de la gauche qui réussit surtout dans les métropoles, sans parvenir à s’implanter en zones rurales et périurbaines, des spécialistes notent que le vote RN, mieux réparti, reste «territorialisé», cantonné à certains espaces: les Hauts-de-France, l’Est, les régions périphériques de l’Ile-de-France et le pourtour méditerranéen. Reste à voir si sa percée dans le Grand Ouest se confirme. Le parti de Marine Le Pen n’est ainsi arrivé en tête «que» dans 297 des 577 circonscriptions. C’est uniquement là qu’il peut espérer l’emporter.
Porosité
La grande inconnue concerne le report de voix. Les désistements pour faire barrage au RN ont fait passer les triangulaires de 306 à 89 – ce qui reste élevé – contre 409 duels. Mais les électeurs suivront-ils ? En 2022, les législatives ont révélé trois blocs devenus presque totalement homogènes, avec très peu de transferts de voix de l’un à l’autre. En 2024, un barrage républicain tente de s’ériger contre le péril, désormais concret, de voir l’extrême droite accéder au pouvoir. Mais le camp présidentiel est abîmé par sept ans de pouvoir. Et la gauche est handicapée par les procès en antisémitisme faits aux insoumis et à Jean-Luc Mélenchon, responsables, selon leurs opposants, de «bordélisation» de l’Assemblée. «Tout le monde diabolise tout le monde, personne ne lâche rien, et à la fin, le truc est assez inextricable», résume Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS.
Des macronistes peuvent-ils faire barrage au NFP plutôt qu’à l’extrême droite ? Les résultats des européennes indiquent pour la première fois une porosité entre les deux électorats. La gauche est de moins en moins encline au front républicain. Surtout en territoires ruraux et périurbains, où l’on appelle à voter pour des macronistes. Dernier paramètre : la participation. Historiquement haute au premier tour (66,7%), elle pourrait, en chutant, donner une majorité au RN, selon une étude de Grand Continent. De quoi sonner la mobilisation générale.