Libération

Le Frexit caché du RN

- PAR JEAN QUATREMER CORRESPOND­ANT EUROPÉEN

Danger : un scrutin peut en cacher un autre ! Lors des législativ­es des 30 juin et 7 juillet, les citoyens de l’Hexagone choisiront non seulement une majorité et un gouverneme­nt, mais ils se prononcero­nt aussi sur l’appartenan­ce de la France à l’Union européenne. En effet, même si Marine Le Pen et Jordan Bardella ne prônent plus officielle­ment la sortie de l’Union et le retour au franc – souvent RN varie, bien fol qui s’y fie –, la mise en oeuvre de leur programme aboutira inélucpubl­ics tablement à un Frexit de facto. Comme il sait que les Français ne voteraient sans doute pas en faveur d’une sortie de l’Union, le RN se garde bien de proposer un référendum à la britanniqu­e comme il voulait le faire il y a encore quelques années. Mais sa volonté de violer l’ordre juridique communauta­ire revient au même : l’Union étant une communauté de droit qui repose sur l’engagement volontaire des Etats membres à respecter les normes adoptées en commun, c’est tout l’édifice européen qui s’effondrera. Si un pays ne respecte plus la règle du jeu, personne ne peut l’en empêcher.

Ainsi, le RN veut «affirmer la supériorit­é de la Constituti­on française sur les normes et juridictio­ns européenne­s». La France se réserverai­t le droit d’adopter une norme contraire à une loi européenne ou une jurisprude­nce de la Cour de justice européenne. Cela

nd signifie que sa parole ne vaudra plus rien. Surtout, l’unicité du droit européen qui permet au marché intérieur de fonctionne­r serait totalement compromise puisque tous les autres pays européens soit prendraien­t des mesures de rétorsion contre Paris, soit feraient de même. Par exemple, si la France exclut les entreprise­s européenne­s des appels d’offres comme le promet le RN, ses partenaire­s feraient immédiatem­ent la même chose pour les entreprise­s françaises (sachant que la France exporte plus dans ce domaine qu’elle n’importe, ce qui est ballot…). En clair, la remise en cause de la supériorit­é du droit européen est une bombe à fragmentat­ion qui tuera l’Union aussi sûrement qu’un Frexit.

Le RN entend aussi diminuer dès cette année la contributi­on française au budget de l’Union. Or, c’est impossible sauf, encore une fois, en violant la parole de la France, celle-ci étant engagée jusqu’en 2027. Si le RN passe outre, l’Union sanctionne­ra la France en cessant de lui verser une partie des subvention­s auxquelles elle a droit. Que va expliquer aux agriculteu­rs un Jordan Bardella Premier ministre lorsqu’ils seront confrontés à l’arrêt brutal des versements européens? D’autant que le coût des aides agricoles va brutalemen­t apparaître dans le budget national, alors qu’il est largement dissimulé grâce à l’Union, ce qui risque de crisper les autres secteurs économique­s qui ne bénéficien­t pas d’autant d’aides… Enfin, la fin du budget européen, puisque c’est de cela qu’il s’agit, mettrait fin à la Politique agricole commune (PAC) et donc aux exportatio­ns françaises vers les autres pays européens, qui dépassent pourtant de loin les importatio­ns.

Vu le coût budgétaire des promesses du RN, il est quasiment certain qu’il ne respectera pas le Pacte de stabilité qui vient d’être réactivé et qui oblige la France à revenir sous les 3 % en 2027 : autrement dit, le déficit budgétaire français, qui atteint déjà 5,5 % du PIB, va s’envoler et il va falloir s’endetter pour le combler. L’ennui est que les marchés ne prêteront à la France qu’avec une forte prime de risque alors que jusqu’à présent elle bénéficiai­t du parapluie allemand. Déjà, l’écart de taux d’intérêt entre Berlin et Paris est au même niveau qu’entre Berlin et Athènes, ce qui augmente le poids du service de la dette et entraîne doucement la France vers la faillite. Certes, la Banque centrale européenne a les moyens d’intervenir massivemen­t, mais pourquoi le ferait-elle alors que l’Hexagone violerait l’ensemble de ses obligation­s européenne­s ? Une sortie de l’euro ne changerait absolument pas la donne : les marchés internatio­naux prêteront encore moins à un pays totalement isolé en Europe…

On pourrait continuer longtemps : le destin d’une France gouvernée par le RN, s’il applique ses promesses, c’est celui d’un pays paria et en faillite.

 ?? PHoto Laure Boyer. Hans Lucas ?? Pendant une manifestat­ion d’agriculteu­rs, à Paris en février.
PHoto Laure Boyer. Hans Lucas Pendant une manifestat­ion d’agriculteu­rs, à Paris en février.

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