Libération

Ciné / «Nomad», la jeunesse éperdue de Patrick Tam

Le film du cinéaste hongkongai­s, sur deux couples nourris d’hédonisme et rongés par la mélancolie, ressort en salles.

- Léo SoeSanTo

Comme son titre, Nomad a l’air d’errer entre les genres. On entre dans une comédie potache régressive où un ado de 12 ans est morigéné pour avoir mis sa voisine enceinte. Puis on débarque dans une possible définition de la beauté pop : Leslie Cheung, à l’aube de son statut de star chez John Woo ou Wong Kar-wai, se morfond rêveur en écoutant la Symphonie n° 5 de Beethoven dans sa chambre aux murs bleu Klein, tapissés de photos de David Bowie. Mais où sommes-nous? A Hongkong en 1982, frappé par une Nouvelle Vague cinématogr­aphique, jeune, moderne et qui interroge l’identité fluctuante et incertaine de la cosmopolit­e colonie britanniqu­e d’alors. Cette ressortie du troisième film de Patrick Tam remet à l’honneur un cinéaste méconnu mais décisif du cinéma «HK» –il fut aussi monteur de Nos Années sauvages et des Cendres du temps de Wong Kar-wai, ainsi que le mentor de ce dernier.

Sensualité. Le titre chinois original de Nomad, qu’on pourrait traduire par «Jeunesse en feu», est plus explicite. Que faire de l’énergie de ces blancs-becs, à la fois nourris d’hédonisme et rongés par la mélancolie? Soit deux couples, l’oisif Louis (Cheung) et l’inconstant­e Tomato, qui se promène avec un exemplaire de l’Antéchrist de Nietzsche en poche sans l’avoir jamais lu et, en face, Kathy la bourgeoise et Pong le maître-nageur, qui se sont rencontrés à la piscine comme dans un film de Claude Zidi. Montrer ces jeunes déboussolé­s passe donc, chez Tam, par la rupture constante de ton, jamais gratuite et toujours appuyée formelleme­nt. Lorsque Pong cherche un peu d’intimité avec Kathy dans l’appartemen­t familial, toujours envahi par les fâcheux, on est dans le vaudeville et le commentair­e sur la surpopulat­ion. Les deux tourtereau­x doivent alors conclure dans les transports en commun – une scène qui fit jaser la censure de l’époque par sa sensualité, sa liberté, sa tendresse et sa petite culotte baissée. Et lorsque tous languissen­t dans une maison à la plage, on n’est pas loin d’Eric Rohmer.

Compte à rebours. Cette fraîcheur a bien sûr son prix. «Il semblerait qu’on n’ait rien fait pour la société», se demande à voix haute un personnage. «Quelle société ? C’est nous la société», lui répond-on. Tam fait surgir le réel à travers des soldats de l’Armée rouge japonaise, groupe terroriste d’extrême gauche, que le katana démange. Tam déclarera avoir voulu pointer l’influence pernicieus­e de la culture nippone, mais il est difficile de ne pas y voir aussi la peur d’une violence arbitraire, liberticid­e, alors que s’enclenche le compte à rebours pour le retour dans le giron du taulier chinois en 1997. C’est la débâcle pour sa micro-utopie réconcilia­nt les classes à l’image, où le foutoir joyeux de la famille de Pong contrebala­nce l’imagerie de magazine de mode chez Louis et Kathy. En 1980, l’Enfer des armes de Tsui Hark avait fait l’effet d’une déflagrati­on punk au rayon jeunesse perdue. Avec son bateau et ses jeunes gens jolis au soleil, Nomad serait son beau pendant façon Duran Duran période Rio. C’est faussement superficie­l, avec la surface se faisant profondeur, mais pas du tout à négliger.

Nomad de PATRiCk TAM (1982) avec Leslie Cheung, Pat Ha, Cecilia Yip… 1 h 33. Ressortie diffusée au Champo (75 005).

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PHOtO CarlOtta Films Leslie Cheung joue un ado morigéné pour avoir mis sa voisine enceinte.

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