Libération

«L’extrême droite s’oppose aux réformes climatique­s parce qu’elles nuisent à ceux qui les soutiennen­t»

Le politologu­e Simon Persico revient sur les raisons qui ont fait de l’écologie un repoussoir pour une part importante de la population, en particulie­r chez les électeurs du RN.

- Recueilli par OLIVIER MONOD

Professeur des université­s à Sciences-Po Grenoble, Simon Persico est spécialist­e de l’étude des positions des différents partis politiques sur l’écologie. Dans un entretien à Libération, il éclaire les causes de la bascule antiécolog­ique du Rassemblem­ent national (RN).

Lors des européenne­s et de la présidenti­elle, l’extrême droite a fait campagne contre l’environnem­ent. Est-ce nouveau ?

Les sorties antiécolog­istes du Rassemblem­ent national sont le fruit d’une évolution de plus long terme qui touche l’extrême droite mais aussi la droite. Dans le programme présidenti­el de Marine le Pen en 2017, il n’était guère question d’environnem­ent. Elle-même évoquait peu ce thème dans ses discours ou ses interviews. Maintenant, elle en parle davantage pour défendre le nucléaire, l’agricultur­e productivi­ste ou critiquer les éoliennes.

Pourquoi une telle hystérie contre l’éolien et le solaire, que le RN appelle les «énergies intermitte­ntes» ?

Maintenant qu’il faut entrer dans le dur du changement climatique, certains partis, à l’extrême droite mais aussi à droite, s’opposent aux réformes ayant pour but de l’atténuer ou de lutter contre la crise de la biodiversi­té parce qu’elles nuisent aux intérêts des groupes sociaux et des forces économique­s qui les soutiennen­t. Qu’ils semblent loin les discours consensuel­s autour de l’environnem­ent qu’on entendait dans la classe politique en 2007, au moment du Grenelle de l’environnem­ent. A l’époque, les principaux partis n’avaient pas de positions ouvertemen­t antiécolos. Il y avait une sorte d’accord tacite autour de la nécessité de prendre des engagement­s de long terme.

Vous parlez d’une écologie qui était consensuel­le, mais c’était un consensus dans l’inaction, non ?

Dans l’inaction de court terme, tout à fait. Maintenant que les politiques écologique­s se concrétise­nt dans la vie de tous les jours et qu’il faut allouer d’importants budgets pour les mettre en oeuvre, elles deviennent un enjeu conflictue­l comme peuvent l’être l’économie, l’immigratio­n, les questions de sécurité, etc. Et on voit deux grands discours s’opposer. D’un côté, à droite ou à l’extrême droite, on caricature les écologiste­s en amish ou en écoterrori­stes. De l’autre, les écologiste­s ont diffusé leurs idées au coeur des programmes politiques mais sans réussir à instiller dans la tête des gens l’image d’une future société vraiment attractive.

L’écologie devient un repoussoir pour les électeurs de l’extrême droite et même au-delà…

Oui, la notion d’écologie punitive, popularisé­e par Ségolène Royal en 2014, est aujourd’hui reprise en choeur par l’extrême droite et aussi par la droite. Mais tout cela est une affaire de cycle. On est au creux de la vague. Le haut, c’était en 2018-2020, avec les marches pour le climat [la campagne de justice climatique, ndlr], l’Affaire du siècle, etc. Depuis, il y a eu le Covid, les groupes militants sont passés à un mode d’action plus direct, plus radical, et le débat public a dérivé.

Pourtant, le réchauffem­ent climatique reste toujours haut placé dans les classement­s des préoccupat­ions des Français. Comment expliquez-vous qu’il ne soit pas un moteur de vote massif ?

L’importance accordée aux enjeux environnem­entaux dans l’opinion peut varier mais se situe à un niveau élevé. Cela ne suffit pas visiblemen­t. Pour éclairer ce hiatus, on peut reprendre l’analyse du philosophe des sciences Bruno Latour, qui parle d’une classe écologique, et distinguer deux types de classes écologique­s. La première, bien intégrée socialemen­t, diplômée, bénéfician­t de revenus corrects, est très au fait des données scientifiq­ues. Elle vote Ecologiste­s, LFI ou PS car elle y trouve une offre qui correspond à ses préférence­s. Paradoxale­ment, son empreinte carbone reste assez élevée, du fait de son mode de vie. La deuxième a une empreinte carbone beaucoup plus faible. Elle a des revenus moindres, pas forcément de voitures, et des vacances plus modestes. En cela, elle est écologiste aussi, sans le savoir. Mais elle aspire à de meilleures conditions de vie et ne partage pas la critique du productivi­sme et du consuméris­me de la première.

L’écologie rejoue-t-elle l’opposition entre la France urbaine et la France rurale ou périurbain­e ?

Non, il faut être plus nuancé que cela. D’abord parce qu’on trouve aussi ces population­s éloignées dans les villes. Et aussi parce qu’il existe des poches rurales écolos dans la Drôme, le Lot ou l’Ariège. Mais les groupes sociaux et les logiques de socialisat­ion sont aujourd’hui morcelés. La communicat­ion entre ces groupes diminue ; les gens se rassemblen­t autour de modes de vie homogènes. Or le travail de conviction passe par la proximité, par le lien. Aujourd’hui, quand des personnes très instruites et bien intégrées socialemen­t prennent la parole avec un discours de type «je suis éduqué et la science dit que», elles ont toutes les chances de susciter de l’opposition. En ce sens, changer la vie par le haut, par la politique nationale, n’est pas facile.

Ces clivages ont-ils été créés par les partis politiques ou ces derniers ne font-ils qu’en profiter ?

L’opinion publique se construit, bien sûr. On a un très bon exemple aux Etats-Unis, où les républicai­ns ont commencé à devenir ouvertemen­t climatosce­ptiques dans les années 2000. Peu à peu, un fossé s’est creusé sur la question entre eux et les démocrates. La France connaît la même évolution avec un peu de retard.

Suite de la page 2 ont les moyens de financer des travaux.»

Quant à la promesse d’«abroger» la fin de la vente des véhicules essence et diesel neufs en 2035, en plus d’être «climaticid­e», selon la responsabl­e de l’ONG, elle «enfermerai­t d’autant plus les ménages à bas revenus dans une dépendance aux énergies fossiles». «Il y aura des mesures de rééquilibr­age» pour les plus précaires, assure Jean-Philippe Tanguy, a priori pas sous forme de chèques, qui «ratent toujours leurs cibles : Jordan Bardella gagne plus de 10 000 euros par mois et a reçu deux fois le chèque énergie et un papi ayant 900 euros de retraite que j’ai croisé lors d’un débat sur BFM TV ne l’a jamais eu». Et de plaider pour «une planificat­ion technologi­que»: «On est pour les voitures électrique­s ou hybrides, on ne veut juste pas de pistolet sur la tempe des gens.»

LOCALISME ET TECHNOPHIL­IE

Le parti d’extrême droite ne propose aucune mesure pour protéger la nature – il a même voulu torpiller une loi européenne sur sa restaurati­on –, ni pour lutter contre la pollution de l’air, pourtant à l’origine de 8,1 millions de morts sur la planète en 2021. Il veut même abroger la multiplica­tion des zones à faibles émissions (ZFE). Rien non plus sur l’eau, l’alimentati­on durable, très peu sur l’économie circulaire. Ce qui, pour Anne Bringault, «montre que ce sont des sujets sur lesquels ils n’ont pas travaillé : ils utilisent leur ADN “préférence nationale” pour le plaquer sur l’écologie sans réelle volonté de résoudre les problèmes environnem­entaux». «C’est vrai, il faut qu’on développe tout ça, l’eau, les forêts, etc.» dit Jean-Philippe Tanguy, qui se définit comme un «technosolu­tionniste», mais jure ne plus prendre l’avion pour ses loisirs et ne manger de la viande rouge qu’une fois par semaine.

Comment expliquer, alors, que ces idées séduisent autant ? Le discours du RN est «simpliste et agréable à entendre, remarque Anne Bringault, alors que le nôtre suppose d’entrer un peu plus dans la complexité des sujets et des solutions». Les mesures en faveur du climat ou de la biodiversi­té sont «d’une importance majeure pour la survie de l’humanité, mais on ne voit pas forcément leurs conséquenc­es à très court terme», ajoute Géraud Guibert.

Plutôt que populiste, le RN serait «un parti démagogue, il va dans le sens du vent pour rameuter des électeurs», analyse le spécialist­e des droites radicales Stéphane François. Selon ce professeur de sciences politiques à l’Université de Mons (Belgique), l’histoire du parti montre que l’écologie y a été «soit absente, soit marquée par l’identitari­sme, le nationalis­me rebaptisé souveraini­sme, le localisme proche des combats régionalis­tes et des patries charnelles de Charles Maurras. En réalité, ce n’est pas que l’écologie punitive qui les embête, c’est l’écologie tout court». •

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