«L’extrême droite s’oppose aux réformes climatiques parce qu’elles nuisent à ceux qui les soutiennent»
Le politologue Simon Persico revient sur les raisons qui ont fait de l’écologie un repoussoir pour une part importante de la population, en particulier chez les électeurs du RN.
Professeur des universités à Sciences-Po Grenoble, Simon Persico est spécialiste de l’étude des positions des différents partis politiques sur l’écologie. Dans un entretien à Libération, il éclaire les causes de la bascule antiécologique du Rassemblement national (RN).
Lors des européennes et de la présidentielle, l’extrême droite a fait campagne contre l’environnement. Est-ce nouveau ?
Les sorties antiécologistes du Rassemblement national sont le fruit d’une évolution de plus long terme qui touche l’extrême droite mais aussi la droite. Dans le programme présidentiel de Marine le Pen en 2017, il n’était guère question d’environnement. Elle-même évoquait peu ce thème dans ses discours ou ses interviews. Maintenant, elle en parle davantage pour défendre le nucléaire, l’agriculture productiviste ou critiquer les éoliennes.
Pourquoi une telle hystérie contre l’éolien et le solaire, que le RN appelle les «énergies intermittentes» ?
Maintenant qu’il faut entrer dans le dur du changement climatique, certains partis, à l’extrême droite mais aussi à droite, s’opposent aux réformes ayant pour but de l’atténuer ou de lutter contre la crise de la biodiversité parce qu’elles nuisent aux intérêts des groupes sociaux et des forces économiques qui les soutiennent. Qu’ils semblent loin les discours consensuels autour de l’environnement qu’on entendait dans la classe politique en 2007, au moment du Grenelle de l’environnement. A l’époque, les principaux partis n’avaient pas de positions ouvertement antiécolos. Il y avait une sorte d’accord tacite autour de la nécessité de prendre des engagements de long terme.
Vous parlez d’une écologie qui était consensuelle, mais c’était un consensus dans l’inaction, non ?
Dans l’inaction de court terme, tout à fait. Maintenant que les politiques écologiques se concrétisent dans la vie de tous les jours et qu’il faut allouer d’importants budgets pour les mettre en oeuvre, elles deviennent un enjeu conflictuel comme peuvent l’être l’économie, l’immigration, les questions de sécurité, etc. Et on voit deux grands discours s’opposer. D’un côté, à droite ou à l’extrême droite, on caricature les écologistes en amish ou en écoterroristes. De l’autre, les écologistes ont diffusé leurs idées au coeur des programmes politiques mais sans réussir à instiller dans la tête des gens l’image d’une future société vraiment attractive.
L’écologie devient un repoussoir pour les électeurs de l’extrême droite et même au-delà…
Oui, la notion d’écologie punitive, popularisée par Ségolène Royal en 2014, est aujourd’hui reprise en choeur par l’extrême droite et aussi par la droite. Mais tout cela est une affaire de cycle. On est au creux de la vague. Le haut, c’était en 2018-2020, avec les marches pour le climat [la campagne de justice climatique, ndlr], l’Affaire du siècle, etc. Depuis, il y a eu le Covid, les groupes militants sont passés à un mode d’action plus direct, plus radical, et le débat public a dérivé.
Pourtant, le réchauffement climatique reste toujours haut placé dans les classements des préoccupations des Français. Comment expliquez-vous qu’il ne soit pas un moteur de vote massif ?
L’importance accordée aux enjeux environnementaux dans l’opinion peut varier mais se situe à un niveau élevé. Cela ne suffit pas visiblement. Pour éclairer ce hiatus, on peut reprendre l’analyse du philosophe des sciences Bruno Latour, qui parle d’une classe écologique, et distinguer deux types de classes écologiques. La première, bien intégrée socialement, diplômée, bénéficiant de revenus corrects, est très au fait des données scientifiques. Elle vote Ecologistes, LFI ou PS car elle y trouve une offre qui correspond à ses préférences. Paradoxalement, son empreinte carbone reste assez élevée, du fait de son mode de vie. La deuxième a une empreinte carbone beaucoup plus faible. Elle a des revenus moindres, pas forcément de voitures, et des vacances plus modestes. En cela, elle est écologiste aussi, sans le savoir. Mais elle aspire à de meilleures conditions de vie et ne partage pas la critique du productivisme et du consumérisme de la première.
L’écologie rejoue-t-elle l’opposition entre la France urbaine et la France rurale ou périurbaine ?
Non, il faut être plus nuancé que cela. D’abord parce qu’on trouve aussi ces populations éloignées dans les villes. Et aussi parce qu’il existe des poches rurales écolos dans la Drôme, le Lot ou l’Ariège. Mais les groupes sociaux et les logiques de socialisation sont aujourd’hui morcelés. La communication entre ces groupes diminue ; les gens se rassemblent autour de modes de vie homogènes. Or le travail de conviction passe par la proximité, par le lien. Aujourd’hui, quand des personnes très instruites et bien intégrées socialement prennent la parole avec un discours de type «je suis éduqué et la science dit que», elles ont toutes les chances de susciter de l’opposition. En ce sens, changer la vie par le haut, par la politique nationale, n’est pas facile.
Ces clivages ont-ils été créés par les partis politiques ou ces derniers ne font-ils qu’en profiter ?
L’opinion publique se construit, bien sûr. On a un très bon exemple aux Etats-Unis, où les républicains ont commencé à devenir ouvertement climatosceptiques dans les années 2000. Peu à peu, un fossé s’est creusé sur la question entre eux et les démocrates. La France connaît la même évolution avec un peu de retard.
Suite de la page 2 ont les moyens de financer des travaux.»
Quant à la promesse d’«abroger» la fin de la vente des véhicules essence et diesel neufs en 2035, en plus d’être «climaticide», selon la responsable de l’ONG, elle «enfermerait d’autant plus les ménages à bas revenus dans une dépendance aux énergies fossiles». «Il y aura des mesures de rééquilibrage» pour les plus précaires, assure Jean-Philippe Tanguy, a priori pas sous forme de chèques, qui «ratent toujours leurs cibles : Jordan Bardella gagne plus de 10 000 euros par mois et a reçu deux fois le chèque énergie et un papi ayant 900 euros de retraite que j’ai croisé lors d’un débat sur BFM TV ne l’a jamais eu». Et de plaider pour «une planification technologique»: «On est pour les voitures électriques ou hybrides, on ne veut juste pas de pistolet sur la tempe des gens.»
LOCALISME ET TECHNOPHILIE
Le parti d’extrême droite ne propose aucune mesure pour protéger la nature – il a même voulu torpiller une loi européenne sur sa restauration –, ni pour lutter contre la pollution de l’air, pourtant à l’origine de 8,1 millions de morts sur la planète en 2021. Il veut même abroger la multiplication des zones à faibles émissions (ZFE). Rien non plus sur l’eau, l’alimentation durable, très peu sur l’économie circulaire. Ce qui, pour Anne Bringault, «montre que ce sont des sujets sur lesquels ils n’ont pas travaillé : ils utilisent leur ADN “préférence nationale” pour le plaquer sur l’écologie sans réelle volonté de résoudre les problèmes environnementaux». «C’est vrai, il faut qu’on développe tout ça, l’eau, les forêts, etc.» dit Jean-Philippe Tanguy, qui se définit comme un «technosolutionniste», mais jure ne plus prendre l’avion pour ses loisirs et ne manger de la viande rouge qu’une fois par semaine.
Comment expliquer, alors, que ces idées séduisent autant ? Le discours du RN est «simpliste et agréable à entendre, remarque Anne Bringault, alors que le nôtre suppose d’entrer un peu plus dans la complexité des sujets et des solutions». Les mesures en faveur du climat ou de la biodiversité sont «d’une importance majeure pour la survie de l’humanité, mais on ne voit pas forcément leurs conséquences à très court terme», ajoute Géraud Guibert.
Plutôt que populiste, le RN serait «un parti démagogue, il va dans le sens du vent pour rameuter des électeurs», analyse le spécialiste des droites radicales Stéphane François. Selon ce professeur de sciences politiques à l’Université de Mons (Belgique), l’histoire du parti montre que l’écologie y a été «soit absente, soit marquée par l’identitarisme, le nationalisme rebaptisé souverainisme, le localisme proche des combats régionalistes et des patries charnelles de Charles Maurras. En réalité, ce n’est pas que l’écologie punitive qui les embête, c’est l’écologie tout court». •