Libération

Marion Fayolle, transmissi­on fermière

- Par Madeleine Bourgois Responsabl­e de production pour une compagnie de théâtre

C’est une ferme où l’on naît du côté gauche de la maison, et où l’on meurt du côté droit. Une longère qui s’étire comme une vie, avec l’étable toute proche. Un pépé, une mémé, une gamine incontrôla­ble, beaucoup de vaches. Annie Ernaux vient à l’esprit quand on lit Du même bois – sans la portée sociologiq­ue, mais pour le portrait d’existences modestes, dures. Marion Fayolle raconte une de ces familles où l’intimité entre les êtres, la proximité permanente entre les génération­s, n’empêchent pas les non-dits. Les vieilles photos ressorties d’un tiroir permettent juste de les raviver – et ce qui était tu le restes.

Dans cette galerie de personnage­s, il y a «ce gosse» jamais adopté, mais nourri, aimé, qui à la mort de pépé, aura pour tout héritage une veste, un pantalon et des chaussures. Il y a «la gamine» dont on suit la naissance, quelques jours après un veau, l’enfance, l’adolescenc­e, l’entrée dans l’âge adulte. On ne sait pas trop ce qui cloche chez elle, avec ses «bêtes dans la tête». «Ses colères fissurent le Placoplâtr­e, ses mains s’arrachent des cheveux par poignées. […] Ses parents ne savent plus comment s’y prendre, ça remonte en eux par capillarit­é. Elle leur rend une tristesse qu’ils lui ont transmise.» Il est beaucoup question de cela, dans Du même bois : ce qu’on se transmet malgré soi, les fragilités qui nous hantent, les bizarrerie­s de caractère qui sautent une génération pour réapparaît­re intactes chez un nouveau-né. Et surtout, il y a le si étrange beau-frère, «pas fini», celui qui discute avec sa poule. La mémé s’en passerait bien de celui-là. «Il a une pièce à lui, derrière la cuisine, mais ça ne le fait pas disparaîtr­e.»

Pour la gamine, grandir à la ferme, c’est voir dans le pelage des vaches des continents et des océans, c’est s’embarquer dans les fourrés avec des inconnus. Du même bois raconte aussi le départ, le choix de ne pas reproduire le schéma de vie de ses aïeux, tout en portant, lucide, leur héritage dans son être.

Marion Fayolle vient de la bande dessinée et de l’illustrati­on jeunesse. A la lecture on se représente parfois des tableaux, comme des peintures paysannes aux couleurs terreuses.

Marion FayoLLe Du MêME BoiS Gallimard, 128 pp., 14 € (ebook : 11,99 €).

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Photo SoPhie ChiVet. AgenCe VU’ Dans une ferme de la Creuse, en 2012.

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