Procès de la mort de Steve : le commissaire «a fait de son mieux»
Fidèle à sa position depuis cinq ans, la défense a continué de nier tout lien causal entre l’action de la police et la noyade du jeune homme, alors que le parquet de Rennes a requis une «peine de principe» à l’encontre de Grégoire Chassaing pour homicide
L’homicide involontaire est «l’infraction la plus inquiétante pour chacun d’entre nous, elle peut nous concerner tous et nous confronte à un terrible dilemme : être responsable d’une mort sans avoir voulu la causer. C’est une des infractions les plus lourdes, les plus difficiles à assumer». Cécile de Oliveira, avocate de la famille de Steve Maia Caniço, plaide la main tendue vers Grégoire Chassaing, renvoyé pour homicide involontaire. Mais le commissaire de police ne l’a pas saisie : en cinq ans d’enquête et cinq jours d’audience devant le tribunal correctionnel de Rennes (Ille-etVilaine), il n’a eu de cesse de nier sa culpabilité, rejetant la responsabilité du drame sur tous les autres acteurs de l’équation : participants à la fête de la musique, DJ, autres policiers, ville de Nantes, préfecture de Loire-Atlantique. Le parquet a requis contre lui une condamnation sans proposer de peine –elle peut être au maximum de trois ans de prison. Le délibéré sera rendu le 20 septembre. Grégoire Chassaing était seul sur le banc des prévenus, cette semaine. Mais, au fil de l’instruction, huit autres personnes physiques et morales
«M. Chassaing aurait dû donner des consignes
claires.» Tanguy Courroye
vice-procureur
avaient été mises en examen ou placées sous le statut de témoin assisté, avant d’être mises hors de cause par les juges. Un «double standard», a dénoncé l’avocat Louis Cailliez, au préjudice de son client, «amer d’avoir à payer seul les pots cassés, au niveau intermédiaire» qui est le sien.
«Imprudences». «Je suis peiné qu’il se trouve face à vous car ce n’est pas sa place, a déclaré au tribunal Thierry Palermo, patron de la police dans le département et présent dans la salle de commandement le soir des faits. J’aurais souhaité voir d’autres autorités se trouver ici.» Lesquelles? Interrogé, le prévenu en propose une : la préfecture, qui n’a pas interdit que se rassemblent, le soir de la fête de la musique 2019, une dizaine de murs de son face à la Loire, sur un quai dépourvu de lumière et de barrières. Pas plus qu’elle ne l’a fait les années précédentes. «Il est toujours possible pour une autorité préfectorale de prendre un arrêté», assure Chassaing. «Le fin mot de l’histoire, c’est que la municipalité de Nantes n’était pas favorable à cette interdiction de manifestation», complète un autre témoin, Jean-Christophe Bertrand, prédécesseur de Thierry Palermo. En cause dans le drame, il y a aussi «la décision d’un DJ d’outrepasser l’ordre d’arrêter la musique» donné par Grégoire Chassaing, cette nuit du 22 juin 2019, puis l’«action violente et hostile d’un groupe» qui a jeté des projectiles sur les policiers, a énoncé le procureur, Philippe Astruc. Bref, un «enchaînement singulier» d’«éléments indépendants» qui a mené les agents à utiliser des grenades lacrymogènes. A la barre, tous ont plaidé la légitime défense, déchargeant leur commissaire de toute responsabilité. Mais pour le vice-procureur Tanguy Courroye, l’homicide involontaire est bien caractérisé. D’abord sur le plan de la causalité : l’heure de la chute dans la Loire de Steve Maia Caniço, établie grâce à des expertises téléphoniques approfondies, se situe après les premiers jets de lacrymogènes et l’avancée des policiers, casqués, sur le quai. Et, s’il existe plusieurs hypothèses quant au lieu de cette chute, toutes sont compatibles avec le fait que la victime a subi les effets de ces manoeuvres. Le vice-procureur reproche au prévenu la commission d’une faute caractérisée, via un enchaînement de mauvais choix. «M. Chassaing aurait dû donner des consignes claires, il aurait dû ne plus donner suite aux objectifs initiaux [arrêter la musique, ndlr], il aurait dû proscrire l’usage» de grenades lacrymogènes, il «aurait dû ordonner un repli», a listé Tanguy Courroye. Ne le faisant pas, il a «manqué gravement de discernement, et a commis une accumulation d’imprudences et de négligences». Prenant appui sur chacune d’elles, l’avocat de la défense a piétiné les étapes de l’argumentaire de l’accusation. Il n’y a «pas de lien de causalité certain entre l’action, ou la non-action, de Grégoire Chassaing et le décès de Steve Maia Caniço, a plaidé Louis Cailliez. Et, à supposer que ce lien soit retenu, il n’y a pas de faute caractérisée de sa part».
L’avocat échafaude d’abord une théorie contraire à celle du parquet: selon lui, au moment du déploiement policier, Steve dormait, bien loin du dernier sound system récalcitrant, et est tombé dans l’eau «par accident», sans avoir été affecté par le nuage de gaz ou un mouvement de foule. «Je ne dis pas que c’est la vérité, mais je dis que c’est hautement crédible», assume Louis Cailliez.
«Monolithique». Citant Camus, Boileau, Renan et Jésus à la barre, l’avocat nie aussi toute faute caractérisée de son client. Celui-ci ne voulait pas «en découdre», malgré les dires de l’accusation, et n’est pas comptable des gestes «instinctifs, individuels, rapides» de ses troupes ; il a «fait de son mieux, et surtout comme il pouvait», énumère Louis Cailliez.
«La police n’est jamais à l’origine du chaos et du désordre», professait le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, lors de son témoignage mercredi. «Nous nous heurtons à une défense de tortue», lui répondait Cécile de Oliveira le lendemain, en référence à cette formation militaire qui, «protégée par des boucliers, avance sans qu’une seule tête ne sorte». Du défilé de fonctionnaires qu’on a vus au procès, l’avocate dit qu’ils sont venus «pour défendre non pas Grégoire Chassaing, mais la police nationale et cette doctrine [...] qui lui fait tant de mal: jamais coupable, jamais responsable».
En écho, l’autre avocat des parties civiles, William Pineau, a déploré qu’en cette fête de la musique 2019 le «rétablissement de l’ordre» ait été préféré à «la sécurité des citoyens». Et l’avocat de la famille de la victime de conclure : «Non, la musique ne tue pas. Et non, la police n’a pas tué, pas plus que M. Grégoire Chassaing. Mais le manque de discernement qui fut le sien, dans une mission certes difficile, et sans doute nourri de la croyance un peu monolithique dans l’infaillibilité de la police, a conduit à la mort de Steve Maia Caniço.»