Après quatre nuits de négociations, photo de famille au Nouveau Front populaire
La gauche s’est retrouvée vendredi pour présenter à la presse son programme commun, acté la veille. Un exercice d’union délicat, alors que la question du candidat à Matignon n’est pas résolue.
Un premier cliché pour immortaliser le Nouveau Front populaire. Il est un peu plus de 13 heures vendredi à la Maison de la chimie, dans le VIIe arrondissement de Paris, quand les responsables de gauche, épuisés après quatre nuits sans sommeil, se regroupent face aux photographes. La mélenchoniste Sophia Chikirou se tient à quelques mètres du communiste Fabien Roussel, qu’elle avait comparé au collabo Jacques Doriot en septembre. Aurore Lalucq pose pour Place publique au milieu des insoumis, qu’elle a combattus durant la campagne des européennes. Les adversaires d’hier surjouent les retrouvailles. Le négociateur du PS Pierre Jouvet, complice avec l’insoumis Paul Vannier qui, depuis le début de la semaine, lui a mené la vie dure, sourit: «Quand on rentre ensemble dans une pièce, on ressort avec un accord.»
«Responsabilité». Après un communiqué publié la veille, les partenaires du Nouveau Front populaire présentaient leur accord à la presse (lire page 7). Socialistes, écologistes, insoumis et communistes se sont mis d’accord sur un programme de 150 mesures. «Dès notre arrivée au pouvoir, nous bloquerons les prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants et nous rétablirons une voix de paix pour la France en soutenant l’Ukraine et en se donnant les moyens d’obtenir un cessez-le-feu», annonce l’insoumis Manuel Bompard. L’écologiste Marine Tondelier met, elle, en avant l’abrogation de la réforme des retraites et la gratuité «réelle» de l’école. Le socialiste Olivier Faure insiste sur l’annulation de la réforme de l’assurancechômage et la taxation des superprofits quand le communiste Fabien Roussel évoque la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Sur scène, Aurore Lalucq ne triche pas. Le visage fermé, l’eurodéputée reconnaît que les différents partis signataires de l’accord «[partaient] de ligne qui peuvent être très éloignées», notamment sur la construction européenne et l’international. «On l’a fait parce qu’il le fallait», scande-t-elle. Quelques heures plus tôt, Raphaël Glucksmann, patron de Place publique dont l’intervention était attendue après quatre jours de silence, avait lui aussi déclaré que la gauche avait «une responsabilité historique». «La seule chose qui importe pour moi, c’est que le RN ne gagne pas et ne gouverne pas», a-t-il expliqué. La semaine n’a pas été simple pour l’essayiste, passé d’un score de 13,8% aux européennes –le plus haut à gauche– à un mariage de raison avec LFI, dont il n’a cessé de dénoncer les méthodes et les ambiguïtés sur l’antisémitisme. «Je comprends que beaucoup de gens qui ont vu dans notre émergence la promesse d’une gauche sans la moindre compromission, fermement pro-européenne, démocrate, […] puissent être stupéfaits ou déçus, ou même se sentir trahis.» Les discussions sur le programme se sont étirées jusqu’à l’aube. Après des mois d’affrontements, les alliés du Nouveau Front populaire auront donc mis quatre jours pour trouver un accord sur le fond et la répartition des circonscriptions. Dans les moments de crispation, le socialiste Sébastien Vincini, déjà chargé des négociations pendant la Nupes, regardait la carte électorale des européennes, avec un RN en tête presque partout. «On n’a même pas eu le droit à la sidération, on devait faire fi des tensions. Et à la différence de 2022, on se connaissait. Ça facilite les choses.»
«Rééquilibrage». Les discussions se sont tout de même tendues, notamment entre le PS et LFI. «Heureusement que Benoît Payan était là, il a eu de l’aplomb face aux insoumis», raconte un communiste. Le maire de Marseille est discrètement venu aider. Pendant quatre jours, il n’a presque pas quitté le QG du PS, dormant quelques heures sur place quand il le pouvait. «Je ne pouvais pas rester à Marseille, il fallait faire cet accord.»
Reste, maintenant, à régler la question de l’éventuel Premier ministre en cas de victoire. Les partenaires la renvoient à plus tard mais beaucoup au sein de la coalition disent déjà que Jean-Luc Mélenchon ne peut plus incarner l’union. « Il a raison de se mettre en retrait […], ça me semble manifeste qu’il ne sera pas Premier ministre», a déclaré vendredi François Ruffin au Courrier picard. Le leader insoumis, absent vendredi, joue l’apaisement. «Il a quand même perdu la main dans la séquence, on vit un rééquilibrage à gauche», veut croire un proche des écolos. Egalement absents et pourtant fervents partisans de l’union, les frondeurs Raquel Garrido, Alexis Corbière, Clémentine Autain ou encore François Ruffin. «Ils sont dans leur circo, affirme un conseiller qui les connaît bien. Ils ont peur, mais Mélenchon ne peut pas les tuer, ça se verrait trop.» En début d’après-midi, chacun repartait vers sa circonscription. Il s’agit, désormais, de faire campagne chez soi. Côté socialiste, on vise entre 75 et 90 circonscriptions. «Les insoumis peuvent en avoir une centaine», juge-t-on. Presque partout, le Nouveau Front populaire se prépare à la bataille contre le RN. «Pour la première fois, ce sera une confrontation avec l’extrême droite, analyse Paul Vannier. Il n’y a plus de bloc central.»