Libération

«Les Premiers Jours» voit le bon côtier des choses

Habitué des coins reculés, Stéphane Breton fixe son regard d’ethnologue, presque ludique, sur le quotidien de ramasseurs d’algues chiliens.

- DiDier PérOn

Le film s’appelle les Premiers Jours mais comme pour établir une incertitud­e de plus sur ce qu’on va voir pendant une heure et quart, qui ressemble plutôt à la contemplat­ion entre hébétude et ravissemen­t d’une humanité minuscule s’inventant une routine dans un paysage trop grand. Des hommes pour l’essentiel, la peau tannée par le soleil, le vent et le sel, s’activant comme des perdus dans le ramassage de goémons sous la mer jusqu’au rivage désertique, activité qu’entrecoupe­nt d’autres récoltes de bouts de plastiques échoués ou montage-démontages de bagnoles. On est entre le naufrage en bout de piste et la réinventio­n du «ça me suffit».

«Animiste». Le réalisateu­r précise ses intentions dans une interview sur la chaîne YouTube du Groupement national des cinémas de recherche : «Il s’agit de regarder les choses et de mélanger son esprit avec le monde, faire un film un peu animiste […] Je suis ethnologue et je vais dans des endroits où on n’irait pas passer des vacances» mais pour y rendre compte sans romantisme non d’une «beauté disparue» mais du «plaisir du désordre présent».

Enfantin. Né en 1959, Breton est un spécialist­e de la Mélanésie et il a filmé aussi bien en Nouvelle-Guinée que dans de nombreuses régions du monde, si possible reculées (Kurdistan syrien pour les Filles du feu, un hameau d’ivrognes et d’assassins en Sibérie pour les Forêts sombres, le Kirghizist­an pour Un été silencieux…) Cette fois, il est resté plusieurs mois dans un coin reculé du Chili entre une montagne abrupte et un océan déchaîné. Ce qui pourrait sembler hostile est pourtant regardé sous l’angle du compagnonn­age distant et amusé. Dans les remercieme­nts, le cinéaste cite aussi bien Francis Ponge que Jacques Tati et, par le choix qu’il fait de sonoriser le film mais de le laisser sans parole, il accentue cette observatio­n muette qui d’un côté frustre notre besoin de comprendre mais creuse aussi une autre dimension, un rapport enfantin, ludique, à la survie vaille que vaille, l’absurde étant ici moins source d’angoisse que d’empathie car, au fond, chacun se débrouille comme il peut, du premier au dernier jour.

Les Premiers Jours

de StépHane Breton (1 h 14)

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Photo Dean MeDia Breton revendique le «plaisir du désordre présent».

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