Libération

«C’est pas moi» de Carax, à la pionnière personne

Surplombé par le fantôme de son idole, Jean-Luc Godard, le moyen métrage du cinéaste est ponctué d’images mélancoliq­ues, de visages familiers et d’extraits de home movies émouvants.

- Laura TuiLLier

Après Cannes, Pantin. Sans marionnett­e (baby Annette n’était pas là cette fois) et sans fracas, Leos Carax est venu présenter C’est pas moi en Seine-Saint-Denis, quelques jours avant sa sortie. S’il n’est pas entré

nd dans la salle, il a joué le jeu de l’après-séance et on pouvait le croiser sur la terrasse du festival, entouré de jeunes admirateur­s transis venus lui murmurer leur dette. Le lendemain, il est revenu et a participé à une rencontre avec d’autres très jeunes gens, aspirants cinéastes, qui ont pu lui poser leurs questions.

Rayons. C’est que Carax reste un point lumineux pour la jeunesse, une légende rare sortie de la fin du XXe siècle et qui darde encore ses rayons, le souvenir d’un temps où le cinéma était une religion, les salles des églises. Et son moyen métrage capitalise sur cette aura qui ne se dément pas au fil des années et à partir de laquelle Carax peut faire naître immédiatem­ent l’émotion. Le temps a passé, et les images de ses premiers films nous arrivent nimbées d’un voile mélancoliq­ue au carré, puisque mélancoliq­ues, elles le sont depuis 1984. On revoit des visages qui depuis ont vieilli, des corps de disparus (de Pola X, il ne reste pas grand monde, Katerina Golubeva et Guillaume Depardieu ne sont plus) et on sent, comme toujours chez lui, l’effort immense qu’il faut pour ressuscite­r la croyance, se remettre à l’ouvrage, ne pas céder au désespoir. Depuis son lit (scène magnifique, à la maison), entouré de ses bêtes, il est l’éternel rêveur du cinéma français, lunettes noires pour nuits blanches, le veilleur de nos nuits solitaires.

Il y a une émotion certaine à voir le mythe descendre parmi nous et exposer humblement photos de famille et home movies, un plan de sa fille enfant qui raconte un rêve, puis elle aujourd’hui qui joue du piano la nuit, trois chiens, deux chats, comment se dévoiler en protégeant son mystère. C’est pas moi, ce serait qui alors ? Derrière tout ça, il y a un fantôme. Jean-Luc Godard, en personne et en voix (un message vocal de J.-L.G. à L.C. touche en plein coeur, par sa simplicité, sa quotidienn­eté), à qui le film s’adresse tout entier, comme un hommage, comme un pastiche, comme une lettre d’amour.

Trublion. Ce serait donc lui, Carax, transmué tout entier dans la lettre et l’esprit de son idole, son dieu vivant aujourd’hui mort, jusqu’à proposer, comme aurait pu le faire le trublion helvète, une liste de «salauds» (Marine Le Pen, Benyamin Nétanyahou…) et enchaîner sur une image d’Isadore Greenbaum en 1939 au Madison Square Garden, venu crier «A bas Hitler» en plein meeting nazi. Pas trop son style, le montage politique, revenons à nos moutons, ceux que l’on compte pour s’endormir, les images qui taraudent, qui insistent, et que Carax manipule depuis sa caverne pour leur faire dire autre chose, encore une fois, rameuter du sens et de la beauté dans un XXIe exsangue. En un peu plus de quarante minutes de film, il nous donne envie de davantage, il parvient à ranimer la flamme, celle de l’élan toujours à réapprendr­e (voir la sublime séquence post-générique) pour courir sans peur vers son destin.

C’est pas moi de LeoS CaraX, avec Denis Lavant, Kateryna Yuspina, Nastya Golubeva Carax… 44 min.

 ?? FiLms du Losange ?? Carax est un point lumineux pour la jeunesse, une légende rare du XXe siècle.
FiLms du Losange Carax est un point lumineux pour la jeunesse, une légende rare du XXe siècle.

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