Côté court 2024 Le festival a l’esprit d’ailleurs
Marquée par le voyage sous toutes ses coutures, la 33e édition du rendez-vous pantinois navigue dans la solitude des métropoles, les retrouvailles en pleine nature ou l’expérimentation de territoires dématérialisés.
Sur l’offre pléthorique de la 33e édition du festival Côté court, qui se tient du 5 au 15 juin à Pantin (Seine-Saint-Denis), semble souvent souffler une même envie d’échappée. Au-delà des anthologies dédiées à un territoire étranger (focus sur le cinéma iranien) ou au défrichage de nouvelles formes par le biais des sélections Prospective cinéma et Grand Angle, de nombreuses fictions se tournent vers le voyage, y compris au sein d’espaces urbains familiers revisités de biais en quête de soi-même (Où est passée Cécile ? d’Esther Jouzeau) ou dans le regret de vacances ajournées (la Distraction de Valentine Guégan et Hugo Lemaire). En résulte un éventail d’errances au coeur des villes, traversées à pied, en tram, à la nage ou même à rollers dans le cas de Flyers de Florence Basilio. Les patins vintage, vissés aux pieds du jeune héros Lucien, traduisent même la nature du personnage : livreur de prospectus à la fois véloce et gauche, il semble appartenir à une époque bientôt révolue. Et pour cause, il s’envole dans quelques heures pour l’étranger et entame sa dernière tournée de distribution dans un Pigalle nocturne fait de cinémas pornos, de troquets pour initiés et de parkings souterrains.
Souvenir ouaté
Entre mélancolie et burlesque, Flyers chemine d’un visage à l’autre de cet inframonde chaleureux mais déserté, séduisant mais dérobé : à chaque étape, Lucien entrevoit une possibilité érotique ou amoureuse, systématiquement empêchée. Un rendez-vous avorté avec une chanteuse, qu’il manque de peu à cause d’une chute, prend la forme d’un joli fondu enchaîné qui voit disparaître progressivement la jeune femme. Le parcours sentimental du jeune nigaud sert alors surtout de fil directeur à l’exploration douce-amère d’un microcosme brûlant ses derniers feux : Pigalle noctambule ou la possibilité d’un Paris s’accordant encore à nos désirs que Lucien, personnage perpétuellement en retard, aura pu apercevoir et presque embrasser.
Mais en dehors de ce souvenir ouaté, les métropoles auront surtout révélé une sorte de solitude paradoxale (Après l’aurore de Yohann Kouam et ses trois protagonistes qui jamais ne se rencontrent), conduisant beaucoup d’autres films à plutôt faire le mur et s’aventurer en pleine nature. Montagnes gravies à deux sur le mode de la comédie romantique (les Fleurs bleues de Louis Douillez), littoraux où (dé)lier des amitiés (Une histoire de plage de Laïs Decaster et Marie Rosselet-Ruiz) et innombrables forêts figurent alors, comme leurs homologues à la ville, l’itinéraire intime de ceux qui les parcourent (tel le titre programmatique de Santa Maria Kyoko de Félix Loizillon et Guil Sela, greffant le nom de son héroïne japonaise sur celui d’une commune corse). Plus singulier, Et quand l’aube viendra s’attache quant à lui à restituer le lien unissant aux bois deux promeneurs habitués, Claude et Philippe, qui se croisent par hasard sur un sentier.
Observant d’abord à distance, comme pour éviter de les perturber, les retrouvailles hésitantes des septuagénaires, le film bascule progressivement à l’approche de la nuit, ici semblable à un lent coucher de soleil mystique enveloppant les promeneurs muets dans ses lueurs dorées. Par ce glissement d’une captation réaliste vers le fantastique, David Ingels parvient à incarner pleinement une entente
secrète avec la nature, dont les deux héros seraient à la fois les modestes gardiens et les derniers totems. Tandis qu’ils se faufilent au bord des plans ou derrière des arbres au loin, le duo s’apparente même à un couple de chouettes tombées de leur arbre, quand bien même ils n’arrivent plus à en imiter le cri. Cette scène où les personnages tentent de reproduire un hululement s’avère d’ailleurs récurrente au fil des films (Millennials de June Balthazard, Oiseau de passage de Victor Dupuis), signe qu’y résonne résolument une envie urgente de se mettre au vert.
Mosaïque d’échanges
A mille lieux de ces retours à la nature, The Oasis I Deserve, présenté en section Essai/Art vidéo, s’empare d’un outil hautement contemporain: la vidéo générée par le biais de l’IA et son trait caractéristique d’impressionnisme psychédélique scintillant. Il fallait au moins ça pour s’attaquer à un territoire cette fois entièrement dématérialisé, Inès Sieulle travaillant à partir d’enregistrements de dialogues entre humains et «replikas», chatbots de compagnie programmés pour répondre à toutes les demandes des utilisateurs. Comme les panoramas citadins de lumières nocturnes aperçus dans d’autres films, celui-ci donne corps à une mosaïque d’échanges par les fenêtres et cadres s’entremêlant en ouverture. Des intérieurs d’appartements, que l’on devine figurer ceux des utilisateurs, se voient ensuite remodelés au fil des discussions, notamment lorsque des draps se muent brièvement en courbes sensuelles pour illustrer un «dirty talk».
Usant de la génération par IA précisément à un endroit de confluence (l’humain s’adresse à la machine, qui se transforme en conséquence), The Oasis I Deserve s’engouffre dans l’ambiguïté propre au machine learning (l’apprentissage automatique). Les replikas apparaissent, en particulier durant les derniers instants composés de visages munchiens fondus dans des écrans de smartphones, comme des doubles chimériques de leurs interlocuteurs. S’incarne dès lors le trouble de ces entités composites contraintes de refléter l’insondable de nos propres angoisses et, à l’image des dernières minutes représentant une pièce perdue dans le cosmos, de notre profonde solitude. Si ce paysage clôturant le film s’avère purement virtuel, il confirme cependant bien l’envie, décelée en filigrane au travers de toute la sélection de Côté court, des cinéastes sélectionnés de réussir à façonner, à partir d’un sentiment d’isolement, de petits morceaux d’ailleurs.
Festival Côté Court,
33e édition. Du 5 au 15 juin, au Ciné 104 à Pantin (Seine-SaintDenis).