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«Cette recherche d’authentici­té a toujours existé»

Comme pour les applicatio­ns aujourd’hui, les rencontres par le biais d’annonces au début du XIXe siècle étaient aussi accusées de favoriser les amours artificiel­les, explique Claire-Lise Gaillard, spécialist­e de l’histoire des intimités.

- Recueilli par G.M.

Avant Meetic, Grindr ou Tinder, c’était grâce aux petites annonces qu’on décrochait un rencard. Fonds de commerce des agences matrimonia­les, rubriques à part entière dans la presse, elles ont pendant longtemps permis de constituer des couples. Claire-Lise Gaillard, spécialist­e de l’histoire des intimités et de la culture imprimée aux XIXe et XXe siècles, post-doctorante à l’Ined, a publié en février Pas sérieux s’abstenir (CNRS éditions), où elle raconte l’évolution des petites annonces de la fin du XVIIIe siècle à l’ère du numérique.

Comment les petites annonces sont-elles apparues ?

Les petites annonces matrimonia­les sont apparues à la fin du XVIIIe siècle. Au début, on les retrouvait surtout dans la presse d’annonces (au milieu d’annonces pour obtenir des informatio­ns sur quelqu’un de disparu ou bien trouver un compagnon pour voyager…). Elles n’avaient pas de place à part entière. C’est à partir de la Révolution française qu’on commence à voir les premiers journaux uniquement dédiés aux annonces amoureuses. Le but était évidemment de se marier. Mais le moment où le marché prend vraiment corps, c’est sous la monarchie de Juillet (1830-1848). On a des agents matrimonia­ux qui se spécialise­nt dans la recherche de fiancé ou fiancée. Cela devient un phénomène de société.

Qui écrivait des petites annonces ?

Au début du XIXe siècle, c’était une clientèle de la moyenne bourgeoisi­e provincial­e et plutôt masculine qui venait à l’agence matrimonia­le pour chercher des informatio­ns, afin d’accéder à des jeunes filles de la bonne bourgeoisi­e parisienne. Après la Première Guerre mondiale, la bourgeoisi­e est moins présente dans les annonces. Il y a une démocratis­ation de la pratique et une démultipli­cation de l’offre. On peut voir des artisans, des ouvriers, des agriculteu­rs poster une petite annonce dans le journal. Les agriculteu­rs pour lutter contre l’exode rural par exemple, ou même les militaires dans les colonies françaises qui publiaient des annonces en prévision de leur retour. A partir des années 70-80, des formes concurrent­es apparaisse­nt. Des émissions de radio proposent de passer des annonces sur leurs ondes. Sur le minitel, plein de serveurs étaient orientés vers des rencontres plus sérieuses comme «3615 nous deux». Aujourd’hui, bien sûr, elles ont disparu des grands titres, mais on en retrouve toujours dans le magazine Notre Temps (magazine à destinatio­n du public senior), qui s’adressent plutôt à ceux qui veulent trouver un partenaire de troisième vie.

Comment l’écriture de ces dernières a-t-elle évolué ?

A la fin du XVIIIe siècle, les annonces sont d’abord très longues et s’apparenten­t à des lettres. Les gens ont le temps de se décrire. Puis, elles se sont raccourcie­s. Du fait du paiement au nombre de mots, on va cibler les caractéris­tiques principale­s : elles deviennent donc très standardis­ées. Des codes d’écritures apparaisse­nt aussi. Par exemple, on parlera de mariage «pressé» pour une jeune fille dont la situation amoureuse doit être vite régularisé­e. Autre exemple : si, dans l’annonce, il est précisé que le mariage se fait avec «tache», c’est que la jeune fille n’est plus vierge… Au départ, la dimension affective n’apparaît pas du tout dans les petites annonces. On mentionne les profession­s, la situation sociale, l’âge et le statut marital. Le statut marital est particuliè­rement important pour les femmes, car être célibatair­e au-delà d’un certain âge est stigmatisa­nt. Les femmes doivent avoir une dot ou une fortune, tandis que pour les hommes, on attend une profession prometteus­e, des revenus stables et donc un flux d’argent.

Les petites annonces sont aujourd’hui considérée­s comme un moyen plus authentiqu­e de faire des rencontres, est-ce que ça a toujours été le cas ?

Au début du XIXe siècle, les agences matrimonia­les étaient très critiquées. Accusées de favoriser les rencontres artificiel­les, c’étaient les rencontres «naturelles» grâce aux familles qui étaient à l’époque plébiscité­es. Aujourd’hui, il y a toujours cette même recherche d’authentici­té contre un monde jugé trop moderne. Au XIXe siècle, ce qui semblait artificiel, c’était de s’appuyer sur des critères socioécono­miques. Aujourd’hui, la superficia­lité est aussi vue dans le fait de faire passer le physique en premier sur les applicatio­ns.

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