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A Renaissanc­e, «ni Macron ni Attal sur mon tract, juste ma gueule»

Pris de court par la dissolutio­n, redoutant une campagne injouable, peu soucieux d’être soutenus par un président impopulair­e, les députés de la majorité sortante avancent vers le 30 juin sans croire aux miracles. nd

- JEAN-BAPTISTE DAOULAS ET LAURE EQUY

Faut-il y voir de l’improvisat­ion post-dissolutio­n de l’Assemblée nationale ou de l’habileté ? C’est ce mercredi à 11 heures qu’Emmanuel Macron présentera son «orientatio­n» pour les élections législativ­es, lors d’une conférence de presse initialeme­nt prévue mardi. Par souci de ne pas être «à côté de la plaque», selon un de ses proches, et de laisser à la droite le temps d’imploser après l’alliance proposée par Eric Ciotti au Rassemblem­ent national, mardi à la mijournée. Le chef de l’Etat, qui s’exprimera dans une salle parisienne, et non depuis l’Elysée, n’est pas parti pour la mettre en sourdine jusqu’au second tour du 7 juillet. Il est «bien sûr» disposé à débattre avec Marine Le Pen et «prêt à porter nos couleurs et défendre notre projet», a-t-il dit au Figaro Magazine, ajoutant qu’il ne démissionn­erait pas en cas de déroute. Il a fait comprendre dimanche soir à ses ministres que c’est lui, et non Gabriel Attal, qui pilotera la campagne et les investitur­es. Invité du journal de 20 heures de TF1 mardi, le Premier ministre a tout de même voulu convaincre les Français que «ces élections sont probableme­nt les plus importante­s […] parce que là on parle de leur vie quotidienn­e», menacée par «un bloc d’extrême droite dont le programme est la ruine complète du pays» et «le bloc de l’extrême gauche dont le mot d’ordre […] c’est le chaos et la violence». N’empêche : «Le numéro 1 c’est Macron, prévient un interlocut­eur régulier du Président. Il dit qu’on lui a reproché de pas faire assez campagne en 2022, donc là il va s’impliquer.»

«De la chair à canon»

Un investisse­ment qui crispe la majorité plus qu’il ne la booste. Nombre d’élus Renaissanc­e, Modem ou Horizons pourraient reprendre à leur compte le cri du coeur de Xavier Bertrand, président (LR) des Hautsde-France, mardi sur France Info : «Bon sang qu’il se taise ! S’il n’a pas compris qu’il est, avec M. Mélenchon, le moteur de la progressio­n du Rassemblem­ent national…» La campagne législativ­e de 2017, qui avait fait déferler sur le Palais-Bourbon une vague de marcheurs néophytes, victorieux rien qu’en s’affichant macroniste­s, paraît bien lointaine. Le chef de l’Etat ne fait plus recette.

Pire, il plombe ses troupes en campagne. Du discours de la Sorbonne le 24 avril à son interview sur TF1 et France 2 trois jours avant les élections européenne­s, son interventi­onnisme s’est avéré contre-productif. «C’est l’une des plus grosses erreurs qu’on a commises dans la campagne européenne. Le tract avec Emmanuel Macron, c’est un rejet direct, alors que sans sa photo, la discussion peut s’engager, reconnaît un député Renaissanc­e. Mais il n’y a rien de plus dur pour un président que de comprendre qu’il doit se taire.» Si Jordan Bardella (RN) a réussi à transforme­r le scrutin européen en référendum anti-Macron, l’entourage du Président veut croire qu’un lien persiste avec les Français, vantant sa cote de popularité pas si plongeante, à 31 % en mai selon l’institut Ifop. «Le Président sous-estime le degré de rejet, contredit un autre député, resté proche de Macron. Ça, on ne peut pas le lui faire entendre, j’ai renoncé.» Dédaignés depuis toujours par l’Elysée, jetés dans une campagne hautement casse-gueule, les députés gardent une dent contre leur patron qui a décidé sans sommation d’appuyer sur le bouton de la dissolutio­n. «Il fait de nous de la chair à canon. Ce serait légitime si ça servait un intérêt supérieur mais l’objectif est intenable, il faut être dingue pour y croire», enrage un parlementa­ire Renaissanc­e, qui constate que dans les boucles Telegram de la majorité, Macron n’est pas ménagé. En attendant les investitur­es officielle­s du parti Renaissanc­e – une première salve, reconduisa­nt les sortants, était attendue dans la soirée –, les anciens députés, rentrés dans leur circonscri­ption, se targuent de mener une campagne «de terrain», pour éviter d’endosser tous les ratés de l’exécutif sur le plan national. «On est fidèles au Président mais il y a un facteur répulsif fort, constate un député Modem. Pour faire 50% au deuxième tour, on va se déporter un peu de lui. Il ne faut pas qu’il se mêle de la campagne.»

A l’heure où ils impriment à la hâte leurs tracts et affiches, ceux-là préfèrent y figurer seuls plutôt qu’avec la photo d’Emmanuel Macron. «Ni lui ni le Premier ministre, juste ma gueule !» lâche, tout juste prêt à assumer la mention «majorité présidenti­elle», un parlementa­ire qui devait récupérer ses documents de campagne chez l’imprimeur. En quête d’une valeur refuge, d’autres s’en remettent toutefois à la figure de Gabriel Attal. «Sans naïveté, ajoute un député. On a tellement envie d’avoir un leader qu’on prend ce qu’il y a sur le marché.»

Troupes désabusées

Prévenu tardivemen­t de la dissolutio­n par Emmanuel Macron et disparu des radars dimanche et lundi, le chef du gouverneme­nt a ressurgi mardi matin à la réunion du groupe Renaissanc­e pour jouer les saintberna­rds. Cajolant les troupes désabusées, une vingtaine présents physiqueme­nt à l’Assemblée, le reste connectés en visio, celui qui repart lui aussi en campagne dans les Hauts-de-Seine a reconnu le caractère «brutal» de la dissolutio­n. «Nous ne sommes pas là pour parler de nos états d’âme, mais pour aller de l’avant», les a-t-il encouragés. Promettant d’aller «au bout de [son] devoir», il a glissé être disponible pour venir soutenir des candidats. Matignon a prévu une photo du Premier ministre prête à l’emploi pour ceux qui veulent s’afficher à ses côtés. «Les militants nous le disent : quand t’as la photo de Gabriel Attal sur les tracts des européenne­s, ça part plus facilement que quand c’est Emmanuel Macron», constate une députée francilien­ne. La position d’Attal, qui sait son bail de six mois à Matignon quasi assuré de s’interrompr­e en juillet, n’en est pas moins inconforta­ble. «Le nouveau gouverneme­nt se jouera à balles neuves», anticipe une ministre. «Contrairem­ent à Edouard Philippe et Elisabeth Borne, nommés après les élections présidenti­elles de 2017 et 2022, il ne peut pas dire qu’il sera Premier ministre au lendemain des législativ­es, pointe un ex-conseiller d’Emmanuel Macron. C’est difficile dans ces conditions de mener campagne comme chef de la majorité.» Le plus jeune Premier ministre de la Ve République est déjà une affaire (cruellemen­t) classée pour un proche du chef de l’Etat : «Il aura eu la chance d’être un futur antérieur.»

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Photo Patrick Gherdoussi A Aix-en-Provence, mardi.

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