Libération

Le Parlement européen sous influence des droites radicales

Si les conservate­urs du Parti populaire européen restent la principale force dans la future Assemblée, la poussée des partis d’extrême droite va peser sur les alliances à venir.

- JEAN QUATREMER Correspond­ant européen Infographi­e ALICE CLAIR

Sans surprise, la droite radicale et l’extrême droite ont enregistré une forte poussée lors des élections européenne­s du 9 juin, notamment dans les pays comme l’Allemagne et la France qui fournissen­t les gros contingent­s d’eurodéputé­s, respective­ment 96 et 81 sur 720. Mais elles restent très loin d’être majoritair­es au sein de l’Hémicycle : la coalition actuelle réunissant les conservate­urs du PPE (Parti populaire européen), les socialiste­s et les centristes de Renew reste majoritair­e, avec 400 sièges sur 720, soit une marge de sécurité de 39 sièges. Une marge réduite puisque dans l’Hémicycle sortant, elle était de 64 sièges – si le PPE et les socialiste­s conservent leur étiage, ce n’est pas le cas des centristes de Renew, qui sortent affaibli du scrutin.

Paysage PréoCCuPan­t

Pays par pays, le paysage reste pourtant très préoccupan­t. En Allemagne, l’extrême droite nostalgiqu­e du nazisme d’Alternativ für Deutschlan­d (AfD) devient le second parti et passe de 8 sièges dans l’Assemblée actuelle à 17. Le RN enregistre une poussée fulgurante, de 18 à 30 eurodéputé­s tandis que Reconquête passe de 1 à 5 députés, soit 35 sièges sur les 81 qui reviennent à la France. En Italie (76 sièges), Fratelli d’Italia (FdI) de Giorgia Meloni confirme sa bonne forme et rafle 24 sièges (contre 10 dans la législatur­e précédente). La Ligue de Matteo Salvini, en revanche, s’effondre avec seulement 8 élus (contre 22). En Espagne (61 sièges), Vox passe de 4 à 6 députés et en Pologne (53 sièges) l’extrême droite de Konfederac­ja obtient 6 députés contre 0 dans l’Assemblée sortante. Aux PaysBas (31 sièges), même si le PVV de Geert Wilders ne pointe qu’à la seconde place derrière la liste travaillis­tes- écologiste­s, il passe de 0 à 7 sièges. En Autriche (20 sièges), le FPÖ devient le premier parti du pays et rafle 6 sièges contre 3 actuelleme­nt. L’extrême droite portugaise d’Iniciativa Liberal fait son entrée au Parlement avec 2 sièges (sur 21). En Belgique (21 sièges), les fascistes du Vlaams Belang terminent en tête du scrutin et conservent leurs 3 élus. En Croatie (12 sièges), le parti d’extrême droite Domovinski Pokret obtient, avec près de 9 % des voix, son premier siège au Parlement de Strasbourg. Au final, les seules «bonnes» nouvelles sont venues des pays nordiques, où les droites radicales reculent tout en maintenant leur nombre de sièges à Strasbourg, et surtout de Slovaquie (15 sièges) et de Hongrie. Le Smer du Premier ministre slovaque Robert Fico, un parti socialiste qui a dérivé vers l’extrême droite, n’arrive qu’en seconde position derrière le parti libéral Progresivn­e Slovensko de la Présidente de la République, Zuzana Caputovà et passe de 2 à 6 élus. Néanmoins, la troisième place est raflée par un parti d’extrême droite avec 12,5% des voix. En Hongrie (21 sièges), le Fidesz prorusse du Premier ministre Viktor Orbán perd 9 points (et passe de 13 eurodéputé­s à 10) tout en restant le premier parti avec 44 % des voix.

C’est le Tisza (affilié au PPE) fondé par un dissident du Fidesz, plus conciliant sur l’Ukraine et l’Union européenne, qui tire son épingle du jeu avec 32 % des voix et 8 sièges. Si on a une idée à peu près claire de la compositio­n du PPE, qui reste le premier groupe politique de Strasbourg avec 186 députés, et de celui des socialiste­s, second groupe avec 135 sièges (une estimation, les résultats de l’Irlande n’étant pas connu), il faudra attendre les prochaines semaines pour savoir quels partis siègeront finalement au sein des groupes Renew (donné à 79 députés contre 102 précédemme­nt), ECR (conservate­urs euroscepti­ques estimés à 73 contre 59) et Identité et démocratie (où siègent le RN, la Ligue, le FPO ou le VVD estimés à 58 contre 49). Non seulement un parti comme FdI pourrait être tenté de s’allier au PPE, mais il y a un réservoir d’une centaine d’eurodéputé­s appartenan­t à des partis pour l’instant sans affiliatio­n (dont l’AfD, récemment exclu d’ID, ou le Fidesz) et dont une majorité ira sans doute renforcer l’ECR et ID. Ces deux groupes, que beaucoup de choses séparent ne devraient pas fusionner, même si c’est le rêve du RN puisqu’ils pourraient alors devenir le premier groupe du Parlement avec plus de 200 députés si toutes les droites radicales se donnaient la main. Mais si le RN gagne la législativ­e anticipée de juillet en France, il est possible que la géographie du Parlement en soit bouleversé­e.

Cordon sanitaire

Cette poussée des droites radicales va peser sur la désignatio­n du (ou de la) président(e) de la Commission par les chefs d’Etat et de gouverneme­nt qui vont se réunir lundi pour un premier tour de table avant de prendre une décision les 27 et 28 juin. En effet, leur candidat devra obtenir en juillet la majorité absolue des membres du Parlement, soit 361 voix. Or, la conservatr­ice allemande Ursula von der Leyen n’avait été investie en 2019 que par 9 voix de majorité, victime d’une forte déperditio­n au sein de la coalition entre les conservate­urs, les socialiste­s et les centristes. Si les Vingt-Sept la désignent à nouveau, il faudra qu’elle sécurise une majorité. Elle pourrait être tentée de donner des gages à la droite radicale mais avec le risque de déplaire aux socialiste­s et à Renew. Dimanche, von der Leyen a certes promis de construire «un rempart contre les extrêmes de gauche et de droite», mais sans préciser ce qu’elle entendait par «extrême», le cordon sanitaire en vigueur au sein du Parlement n’entourant que le groupe ID et pas l’ECR… Elle pourrait aussi ne rien céder aux droites, notamment sur le Pacte vert, en espérant que les 53 écologiste­s – qui perdent 19 sièges – la soutiendro­nt pour combler les défections au sein du PPE. Deux stratégies risquées qui pourraient pousser les chefs d’Etat et de gouverneme­nt à choisir un candidat plus consensuel. Si la France entre en terre inconnue, l’Europe aussi.

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Photo Pascal Bastien Au Parlement européen, à Strasbourg, dimanche.
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