Libération

Le retour des ruralités

Monique Poulot Directrice du master Géographie, aménagemen­t, Environnem­ent de l’université Paris Nanterre

- (1) Le rural, de l’urbain qui s’ignore ? de Michel Lussault, Tous urbains.

Après une période scientifiq­ue et médiatique consacrée à la ville et à l’urbanisati­on, la question du rural ressurgit depuis une bonne dizaine d’années, appelant des scénarios multiples quant à sa contributi­on à l’espace français dans un nouveau pacte territoria­l. Le temps du tout urbain des logiques de mondialisa­tion et de métropolis­ation, avec un rural devenu «un avatar spécifique du monde urbain», selon Michel Lussault (1), se heurte à la forte résilience des espaces ruraux en termes de population­s et de modes d’habiter. Ce rural renvoie désormais autant à des réalités géographiq­ues qu’à des catégories de sens ou des constructi­ons sociales au point d’être désigné sous le terme de «ruralités». Ce retour des ruralités, fortement amplifié par les injonction­s à la durabilité, se décline sous différente­s figures.

Les premières prennent la forme d’un «faire campagne» plébiscité par les habitants comme les collectivi­tés : à l’urbanisati­on des campagnes en tant que généralisa­tion de modes de vie et de consommati­on répond aujourd’hui une ruralisati­on de la ville. Cette dernière puise dans les nouvelles formes urbaines, qui ne cessent de s’étaler avec la périurbani­sation, mais aussi dans le paradigme du développem­ent durable, qui normalise les normes et techniques d’aménagemen­t, à l’image des Agenda 21 et des Grenelle. L’enherbemen­t des berges des rivières et fleuves, mais aussi la remise en eau de certains lits fluviaux, enterrés ou détournés, se retrouvent désormais dans toutes les villes tant dans un souci de minimiser les risques que dans celui de créer des espaces de conviviali­té ; ce sont encore les trames vertes ou la diffusion de la gestion différenci­ée des espaces verts.

Mais cette ruralisati­on tend de plus en plus à se faire «agrarisati­on». Dans nombre de documents d’urbanisme, les espaces agricoles deviennent des infrastruc­tures autour desquelles se construit la ville, à l’image du Scot de Rennes organisé autour de champs urbains déclarés espaces intangible­s. L’agricultur­e, marqueur de base des ruralités, s’impose comme une des entrées des référentie­ls pour engager des transition­s. L’architectu­re de ce modèle qualifié d’agri-urbain appelle des formalisat­ions inédites (imbricatio­n dans la ville, contrôle foncier…) autour de projets d’agricultur­e urbaine entreprene­uriaux ou associatif­s (sur les toits, au pied des immeubles, dans les écoquartie­rs…) et de la multiplica­tion des jardins plus ou moins pérennes au gré des projets immobilier­s.

Enfin ces réagenceme­nts – certains internes à la ville – se doublent de réarticula­tions entre territoire­s des villes et territoire­s des champs, avec des métropoles et des communauté­s d’agglomérat­ions englobant toujours plus de communes rurales. Cette nouvelle donne prend acte que la ville est «nue», comme l’a particuliè­rement révélé la crise sanitaire de Covid-19, et que l’essentiel des ressources (alimentati­on, énergie, eau, cadres de loisirs…) se situe dans les espaces ruraux. Ce nouvel horizon de mise en partage, rendu nécessaire par la crise environnem­entale, interroge les modalités à faire advenir. Les contrats de réciprocit­é figurent une des solutions de ces formes de transactio­n à condition qu’ils soient fondés sur une justice spatiale, particuliè­rement attentive à la répartitio­n des services et à leur accessibil­ité, qui demeure un point d’achoppemen­t au point d’alimenter frustratio­ns et révoltes dans les ruralités.

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