Libération

Age, genre, profession… Le vote RN se répand partout

Arrivé en tête dans presque toutes les strates de la société, le Rassemblem­ent national réalise des gains inédits dans des catégories qui lui étaient autrefois hostiles : les cadres et les retraités.

- JEAN-BAPTISTE CHABRAN

Est-ce la fin d’un plafond de verre ? En rassemblan­t près d’un tiers (31,4%) des voix dimanche, la liste du Rassemblem­ent national a réalisé un score jamais vu dans l’histoire du parti fondé par Jean-Marie Le Pen en 1972. Inédite, cette performanc­e s’explique notamment par des bouleverse­ments dans la sociologie de l’électorat du parti d’extrême droite, que l’on retrouve désormais dans toutes les strates de la société.

Selon une étude Ipsos publiée dimanche et menée auprès de 8 923 personnes inscrites sur les listes électorale­s pour les élections européenne­s, le RN arrive ainsi «en tête dans presque toutes les catégories sociodémog­raphiques testées». Un fait qualifié de «spectacula­ire» par l’entreprise de sondage dans sa synthèse.

«Rattrapage». Dimanche, le parti xénophobe et euroscepti­que a non seulement élargi son socle traditionn­el populaire composé d’employés (40 % d’entre eux ont voté pour Bardella) et d’ouvriers (54 %, +14 points par rapport aux précédente­s européenne­s de 2019, un chiffre hallucinan­t) mais il a aussi conquis de nouveaux terrains avec une progressio­n importante dans les classes moyennes, «où il a clairement pris le leadership», rapporte Ipsos. «Ce qu’on remarque, c’est que la structure du vote RN reste un peu la même mais que, en grossissan­t, le parti se met à toucher des segments électoraux qui lui sont traditionn­ellement moins favorables», abonde Félicien Faury, sociologue et politiste, expert de l’électorat du Rassemblem­ent national. Dans les profession­s intermédia­ires, le RN est ainsi passé de 19 % à 29 % des voix. Chez les titulaires d’un bac+2, il bondit de 16 % à 29 %.

Encore plus surprenant – et potentiell­ement prometteur pour lui –, le RN fait aussi de nouvelles prises dans un public historique­ment peu enclin à voter pour lui : les cadres et les retraités. Chez les premiers, il recueillai­t 13 % des voix en 2019 : il est désormais à 20 % et fait jeu égal en tête avec la liste Place publique-PS de Raphaël Glucksmann. Parmi les retraités, le Rassemblem­ent national est tout simplement seul en tête. 29% de ces électeurs qui se sont déplacés dimanche ont voté pour lui, contre 23% pour Renaissanc­e. Pour Félicien Faury, cet indicateur est «l’un des plus importants» pour le parti d’extrême droite car «les retraités, et a fortiori les retraités des catégories sociales supérieure­s, sont ceux qui votent le plus».

Autre fait saillant, ces européenne­s semblent aussi acter la fin de ce qu’Ipsos nomme «un gender gap», soit la différence récurrente qui existait entre les femmes et les hommes et qui voulait que les premières votent moins pour l’extrême droite que les seconds. Ainsi, entre 2019 et 2024, le RN a gagné dix points dans l’électorat féminin, passant de 20 % à 30 %. C’est 32 % chez les hommes. «C’est une grande nouveauté, constate Félicien Faury. Depuis 2012, on a un rattrapage de ce côté-là. Ce n’est par exemple pas le cas pour le parti d’Eric Zemmour, où les électeurs hommes sont encore beaucoup plus nombreux.»

«Lissage». Enfin, outre les catégories socioprofe­ssionnelle­s, le pessimisme vis-à-vis de l’avenir et la situation financière restent des critères déterminan­ts. Pour Brice Teinturier, directeur général d’Ipsos, interrogé lundi sur France Inter, «la satisfacti­on que l’on a vis-àvis [de sa] propre vie» est «le critère le plus explicatif du vote pour le Rassemblem­ent national» : «Plus vous considérez que vous menez une vie insatisfai­sante, plus vous votez RN.» Et fatalement, tout ce «lissage sociologiq­ue» se traduit dans les données géographiq­ues. Avec un dernier chiffre qui fait peur. Dimanche, la liste menée par Jordan Bardella est arrivée en tête dans 93 % des communes de France, colorant presque la France entière de brun.

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