L’Assemblée à l’arrêt, les députés repartent tracter
Conséquence de la dissolution, les travaux parlementaires ont été suspendus. Après deux ans de législature chaotique, les élus gèrent désormais les priorités logistiques pour les législatives.
Des gendarmes, des techniciens, des photographes… A l’Assemblée nationale lundi, les couloirs grouillent de monde, sauf de députés. Salle des Quatre-Colonnes, où les élus se pressent habituellement pour répondre aux caméras, ils ne sont qu’une poignée. Après l’annonce surprise de la dissolution, le réveil est brutal. «Ambiance bizarre», souffle un fonctionnaire de l’institution. Jamais, sous la Ve République, un Président n’avait annoncé de dissolution après un revers dans les urnes. Dimanche, les macronistes ont essuyé une lourde défaite, arrivant (très) loin derrière le Rassemblement national. Avec 31,37% des voix, l’extrême droite perce un plafond historique.
Macron a déploré dimanche soir une «fièvre qui s’est emparée […] du débat public et parlementaire». Face au «désordre», il a annoncé la dissolution, une «décision grave, lourde». La sixième depuis 1958. La dernière remonte à 1997. «On n’est pas nombreux à avoir vécu une dissolution, remarque Eleonore Caroit, députée Renaissance des Français de l’étranger, élue en 2022. Quelques vétérans !» Début de semaine oblige, la plupart de ses collègues sont en circonscription. Le groupe Renaissance a tout de même organisé une réunion en visio pour régler la logistique et appeler à la mobilisation pour les législatives, fixées aux 30 juin et 7 juillet.
Couperet. Parmi les priorités : licencier les collaborateurs parlementaires et clôturer les comptes servant à recevoir les avances de frais de mandat. Les services de l’Assemblée doivent transmettre aux élus un mémo sur la dissolution et ses effets. Le plus visible est l’arrêt immédiat des travaux. Les projets de loi en cours d’examen, comme celui sur l’aide à mourir, sont suspendus. Sur X, son rapporteur, Olivier Falorni (Modem), s’est dit «triste» de le voir «brutalement stoppé».
Autre morceau passant à la trappe : le projet de loi sur l’audiovisuel, porté par la ministre de la Culture Rachida Dati. Ce sont aussi les auditions dans le cadre de commissions d’enquête, comme celle sur les violences dans le cinéma ou celle sur la dette, les travaux des missions d’information, ceux des commissions permanentes, etc. Conformément à la Constitution, seule l’Assemblée est dissoute. La coutume veut pour autant que les sénateurs cessent de siéger le temps de la campagne. Le couperet élyséen de la dissolution marque aussi la fin de la XVIe législature, ouverte le 28 juin 2022. L’élue des Yvelines Yaël Braun-Pivet accédait alors au Perchoir ; le RN inaugurait la première séance en évoquant l’Algérie française, sous les applaudissements de ses 89 élus – une première – ; et les macronistes, privés de majorité absolue, digéraient à peine leur claque. Suivait la chaotique répartition des postes clés: vice-présidents, présidents de commissions, questeurs, etc.
Esclandres. En à peine deux ans, des réformes majeures ont été adoptées, souvent avec l’appui de la droite, comme celle des retraites, l’assurance chômage ou l’immigration. Le gouvernement aura essuyé 34 motions de censure. Une seule, celle du groupe centriste Liot en mars 2023 après le passage en force du gouvernement sur les retraites, a failli renverser le gouvernement Borne, à 9 voix près. L’hémicycle aura vécu au rythme du brouhaha ambiant, des esclandres, des incidents de séance et des sanctions à la pelle. Configuration inédite certes, mais fonctionnelle, n’a eu de cesse de répéter sa présidente. «Je suis une fervente partisane des accords, des compromis, des consensus ; c’est ce que j’ai essayé de faire pendant deux ans en tant que présidente de l’Assemblée nationale», a-t-elle défendu lundi sur France 2. Avant de critiquer la dissolution : «Il y avait un autre chemin, qui était [celui] de la coalition, d’un pacte de gouvernement.»
Pour les députés, l’heure est désormais à la campagne. Ils ont trois semaines devant eux. Et jusqu’à dimanche pour enregistrer leur candidature. Activant l’article 12 de la Constitution, le chef de l’Etat a laissé le minimum de temps pour déclencher les élections, et donc faire campagne. Vu ce délai, les sortants auront un avantage considérable. Pour eux, les priorités sont d’abord logistiques : ouvrir un compte de campagne, rédiger leur profession de foi, imprimer des tracts… Et labourer leur circonscription.
L’issue de ce coup de poker est incertaine. Si l’extrême droite décroche une majorité absolue, le Président sera contraint à une coalition. En majorité relative, le RN pourrait difficilement bâtir une coalition. Pas certain non plus qu’une majorité absolue n’émerge dans le camp présidentiel ou à gauche. «Il est hors de question de rentrer dans une forme d’alliance, de coalition, avec un pouvoir qui a mis la France dans cet état», a balayé dimanche Eric Ciotti, le président des LR. A gauche, l’heure est à la mobilisation. Une tentative d’alliance se joue autour d’un «front populaire», lancé par le député LFI François Ruffin. Et ce, alors que les insoumis tentent de ressusciter la Nupes. Autre hypothèse : un blocage total, faute de majorité et de coalitions trouvées. Un retour à la case départ.