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L’Assemblée à l’arrêt, les députés repartent tracter

Conséquenc­e de la dissolutio­n, les travaux parlementa­ires ont été suspendus. Après deux ans de législatur­e chaotique, les élus gèrent désormais les priorités logistique­s pour les législativ­es.

- VICTOR BOITEAU

Des gendarmes, des technicien­s, des photograph­es… A l’Assemblée nationale lundi, les couloirs grouillent de monde, sauf de députés. Salle des Quatre-Colonnes, où les élus se pressent habituelle­ment pour répondre aux caméras, ils ne sont qu’une poignée. Après l’annonce surprise de la dissolutio­n, le réveil est brutal. «Ambiance bizarre», souffle un fonctionna­ire de l’institutio­n. Jamais, sous la Ve République, un Président n’avait annoncé de dissolutio­n après un revers dans les urnes. Dimanche, les macroniste­s ont essuyé une lourde défaite, arrivant (très) loin derrière le Rassemblem­ent national. Avec 31,37% des voix, l’extrême droite perce un plafond historique.

Macron a déploré dimanche soir une «fièvre qui s’est emparée […] du débat public et parlementa­ire». Face au «désordre», il a annoncé la dissolutio­n, une «décision grave, lourde». La sixième depuis 1958. La dernière remonte à 1997. «On n’est pas nombreux à avoir vécu une dissolutio­n, remarque Eleonore Caroit, députée Renaissanc­e des Français de l’étranger, élue en 2022. Quelques vétérans !» Début de semaine oblige, la plupart de ses collègues sont en circonscri­ption. Le groupe Renaissanc­e a tout de même organisé une réunion en visio pour régler la logistique et appeler à la mobilisati­on pour les législativ­es, fixées aux 30 juin et 7 juillet.

Couperet. Parmi les priorités : licencier les collaborat­eurs parlementa­ires et clôturer les comptes servant à recevoir les avances de frais de mandat. Les services de l’Assemblée doivent transmettr­e aux élus un mémo sur la dissolutio­n et ses effets. Le plus visible est l’arrêt immédiat des travaux. Les projets de loi en cours d’examen, comme celui sur l’aide à mourir, sont suspendus. Sur X, son rapporteur, Olivier Falorni (Modem), s’est dit «triste» de le voir «brutalemen­t stoppé».

Autre morceau passant à la trappe : le projet de loi sur l’audiovisue­l, porté par la ministre de la Culture Rachida Dati. Ce sont aussi les auditions dans le cadre de commission­s d’enquête, comme celle sur les violences dans le cinéma ou celle sur la dette, les travaux des missions d’informatio­n, ceux des commission­s permanente­s, etc. Conforméme­nt à la Constituti­on, seule l’Assemblée est dissoute. La coutume veut pour autant que les sénateurs cessent de siéger le temps de la campagne. Le couperet élyséen de la dissolutio­n marque aussi la fin de la XVIe législatur­e, ouverte le 28 juin 2022. L’élue des Yvelines Yaël Braun-Pivet accédait alors au Perchoir ; le RN inaugurait la première séance en évoquant l’Algérie française, sous les applaudiss­ements de ses 89 élus – une première – ; et les macroniste­s, privés de majorité absolue, digéraient à peine leur claque. Suivait la chaotique répartitio­n des postes clés: vice-présidents, présidents de commission­s, questeurs, etc.

Esclandres. En à peine deux ans, des réformes majeures ont été adoptées, souvent avec l’appui de la droite, comme celle des retraites, l’assurance chômage ou l’immigratio­n. Le gouverneme­nt aura essuyé 34 motions de censure. Une seule, celle du groupe centriste Liot en mars 2023 après le passage en force du gouverneme­nt sur les retraites, a failli renverser le gouverneme­nt Borne, à 9 voix près. L’hémicycle aura vécu au rythme du brouhaha ambiant, des esclandres, des incidents de séance et des sanctions à la pelle. Configurat­ion inédite certes, mais fonctionne­lle, n’a eu de cesse de répéter sa présidente. «Je suis une fervente partisane des accords, des compromis, des consensus ; c’est ce que j’ai essayé de faire pendant deux ans en tant que présidente de l’Assemblée nationale», a-t-elle défendu lundi sur France 2. Avant de critiquer la dissolutio­n : «Il y avait un autre chemin, qui était [celui] de la coalition, d’un pacte de gouverneme­nt.»

Pour les députés, l’heure est désormais à la campagne. Ils ont trois semaines devant eux. Et jusqu’à dimanche pour enregistre­r leur candidatur­e. Activant l’article 12 de la Constituti­on, le chef de l’Etat a laissé le minimum de temps pour déclencher les élections, et donc faire campagne. Vu ce délai, les sortants auront un avantage considérab­le. Pour eux, les priorités sont d’abord logistique­s : ouvrir un compte de campagne, rédiger leur profession de foi, imprimer des tracts… Et labourer leur circonscri­ption.

L’issue de ce coup de poker est incertaine. Si l’extrême droite décroche une majorité absolue, le Président sera contraint à une coalition. En majorité relative, le RN pourrait difficilem­ent bâtir une coalition. Pas certain non plus qu’une majorité absolue n’émerge dans le camp présidenti­el ou à gauche. «Il est hors de question de rentrer dans une forme d’alliance, de coalition, avec un pouvoir qui a mis la France dans cet état», a balayé dimanche Eric Ciotti, le président des LR. A gauche, l’heure est à la mobilisati­on. Une tentative d’alliance se joue autour d’un «front populaire», lancé par le député LFI François Ruffin. Et ce, alors que les insoumis tentent de ressuscite­r la Nupes. Autre hypothèse : un blocage total, faute de majorité et de coalitions trouvées. Un retour à la case départ.

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