Chlordécone : l’audience de l’espoir pour les parties civiles
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris examine ce lundi le recours, si important aux Antilles, contre le non-lieu incompris prononcé dans le dossier pénal de la pollution au chlordécone. Utilisé dans les bananeraies de la Guadeloupe et de la Martinique jusqu’au début des années 90 pour lutter contre un insecte ravageur, ce pesticide ultratoxique a contaminé des milliers d’hectares et se retrouve encore aujourd’hui dans le sang de plus de 90 % des habitants.
Le 2 janvier 2023, tout en reconnaissant dans leur décision un «scandale sanitaire», les deux juges d’instruction chargées de cette affaire avaient prononcé la clôture de l’enquête sans poursuites judiciaires. Faute, selon elles, de «charges suffisantes pour caractériser une infraction pénale». Au grand dépit des associations ultramarines qui avaient déposé plainte en 2006 pour, entre autres, «empoisonnement» et «mise en danger d’autrui». Affligées de ce dénouement après dix-sept années de procédure, les parties civiles ont décidé de faire appel de cette ordonnance de nonlieu. Elles sont historiquement une quinzaine, en majorité des associations. Mais, ces derniers mois, plus de 600 personnes se sont manifestées pour intégrer la procédure en cours. «Nous ne lâcherons rien, jamais, proclame Raphaël Constant, l’avocat de l’association requérante Pour une écologie urbaine. La moindre des choses serait que la justice approfondisse avec le plus grand des sérieux les causes, les conséquences et surtout la réalité de ce qu’il s’est passé.»
La France a attendu 1990 pour bannir l’usage de l’insecticide, pourtant proscrit définitivement aux EtatsUnis dès 1977 et classé cancérogène possible par l’OMS en 1979. Et même 1993 pour l’interdire de manière formelle aux Antilles, où il avait continué à être autorisé pour les producteurs de bananes par dérogations ministérielles. Perturbateur endocrinien reconnu reprotoxique (qui altère la fertilité) et neurotoxique, le chlordécone est aussi soupçonné d’augmenter le risque de cancer de la prostate. «L’ordonnance de non-lieu évoque la difficulté de récolter des preuves. Or les juges d’instruction n’ont jamais mis les pieds ni en Guadeloupe ni en Martinique, tacle Raphaël Constant. Ne pas interroger les victimes, ne pas vérifier les dégâts sur place, j’appelle ça du travail bâclé.»
La ténacité des associations de victimes a poussé les députés à adopter en première lecture, le 29 février, une proposition de loi reconnaissant symboliquement la «responsabilité» de l’Etat dans l’affaire du chlordécone. Défendu par le député de la Guadeloupe Elie Califer (apparenté socialiste), le texte acte sans ambages le rôle de la «République française» dans les «préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques subis par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et par leurs populations». Il prévoit des objectifs de dépollution de l’environnement et «d’indemnisation des victimes».