Quatre otages libérés, Nétanyahou renforcé
Le succès de l’opération de sauvetage à Gaza samedi, qui aurait fait plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés côté palestinien, soulage l’opinion israélienne. Mais risque de conforter le Premier ministre dans sa stratégie militaire, réduisant les chances d’obtenir une trêve.
Depuis sa cabine de surveillance sur la plage de TelAviv samedi, le maître-sauveteur a pris son micro et a annoncé la nouvelle : quatre otages enlevés par le Hamas lors de son attaque terroriste du 7 octobre ont été libérés par les forces spéciales israéliennes. En vie. L’explosion de joie sur le sable a été immédiate. Les applaudissements ont crépité et les visages ont tous affiché un sourire radieux. Dans tout Israël, la joie s’est répandue. Peu après l’annonce de la libération de Noa Argamani, 26 ans, Almog Meir Jan, 22 ans, Andrey Kozlov, 27 ans et Shlomi Ziv, 41 ans, tous enlevés alors qu’ils participaient à un festival de musique, le bureau du Premier ministre a posté un laconique message: «Il y a peu de temps, le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est entretenu avec Noa Argamani.» Par ces mots, le chef du gouvernement israélien se replaçait au centre de l’action, lui qui a soigneusement évité de se montrer en public ces derniers mois lors des annonces de la mort de plusieurs autres otages. Cette fois-ci, il a pris grand soin de diffuser les images de ses rencontres avec les otages dans la soirée de samedi. La libération des quatre prisonniers, qui semblent tous en relativement bonne santé, a été assombrie par la nouvelle que le père de l’un d’entre eux, Almog Meir Jan, était mort quelques heures avant l’annonce de la libération de son fils. «Mon frère est mort de chagrin et n’a pas pu voir Almog revenir. Il ne pouvait plus tenir, chaque accord raté lui brisait un peu plus le coeur», a raconté à la radio Dina Jan, la tante d’Almog.
Par ailleurs, l’opération aurait provoqué de très nombreuses morts de civils palestiniens. Selon le ministère de la Santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, au moins 274 Palestiniens auraient été tués et 698 blessés dans des frappes israéliennes sur le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza. Ces chiffres n’ont pas pu être vérifiés indépendamment. Le conseiller américain à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, a indiqué dimanche que les Etats-Unis n’étaient «pas en position de pouvoir donner une estimation fiable» sur le nombre de Palestiniens tués pendant l’opération. «Les forces armées israéliennes ont avancé un nombre, le ministère de la Santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, un autre. Mais nous savons que des personnes innocentes ont été tragiquement tuées dans cette opération. Nous ne connaissons pas le nombre exact, mais des personnes innocentes sont mortes et c’est déchirant et tragique», a-t-il dit lors d’une interview sur CBS.
Avec l’annonce de ces libérations, Benyamin Nétanyahou, ce vieux roué et stratège de la politique israélienne, a pu pousser temporairement un soupir de satisfaction. Il sait qu’il a marqué des points. Après des semaines où la tension et les pressions internes mais aussi internationales n’ont cessé de s’accentuer pour qu’il accepte enfin un cessez-le-feu et le plan soutenu par les Etats-Unis, présenté le 31 mai par le président américain, Joe Biden. «Vous avez prouvé qu’Israël ne cède pas face au terrorisme et agit avec une créativité et un courage sans limites pour ramener nos otages à la maison», a déclaré Benyamin Nétanyahou à l’attention des forces israéliennes.
«GRAINES D’ÉTÉ»
Le Premier ministre sait qu’il a aussi gagné un peu de temps. Selon plusieurs sources gouvernementales citées par la presse, le chef du Shin Bet, les services secrets israéliens, avait présenté pour approbation jeudi soir au gouvernement le plan pour l’opération de libération des otages, ses risques et ses implications, après des semaines de travail intense de renseignement. Une équipe américaine spécialisée, présente en Israël, aurait apporté une assistance pour préparer l’opération mais n’aurait pas participé directement à l’action, selon des officiels américains.
D’après un porte-parole de l’armée israélienne, «la libération des otages a été l’une des opérations de sauvetage les plus compliquées de l’histoire». L’opération avait été baptisée «Summer Seeds» («Graines d’été»). Les otages étaient détenus dans des zones à forte densité de population, dans des immeubles de trois ou quatre étages, dans des appartements d’où ils étaient régulièrement déplacés. Lors de l’attaque pour les libérer, les forces spéciales ont localisé Noa Argamani – qui a pu serrer dimanche dans ses bras sa mère mourante, atteinte d’un cancer en phase terminale– au premier étage d’un immeuble alors que les trois hommes otages étaient retenus au troisième étage d’un autre immeuble, à plusieurs centaines de mètres, selon Tsahal.
Benny Gantz, grand rival de Nétanyahou et ministre membre du cabi
net de guerre, avait aussi été informé et avait décidé de ne pas changer son calendrier, pour ne pas éveiller la méfiance du Hamas. Il avait en effet annoncé pour samedi une conférence de presse après avoir fixé un ultimatum à Nétanyahou afin qu’il présente un plan pour l’après-guerre à Gaza. Dimanche soir, lors d’un autre point presse, Gantz a annoncé sa démission du gouvernement d’urgence : «Nétanyahou nous empêche de progresser vers une vraie victoire. Pour cette raison, et avec le coeur lourd, nous [le parti de l’Union nationale, ndlr] quittons le gouvernement d’urgence.»
Dans la soirée de samedi, Nétanyahou avait tenté de convaincre son rival de rester à ses côtés. «J’en appelle à Benny Gantz : ne quittez pas le gouvernement d’urgence», avait-il exhorté sur le réseau social X (exTwitter), estimant que l’heure était à «l’unité et non à la division». En vain. Le cabinet de guerre d’union national constitué après le 7 Octobre devrait être dissous et Nétanyahou devrait revenir à un mode de fonctionnement plus restreint, où il soumettra ses décisions à un entourage de ministres.
SURVIE POLITIQUE
Nétanyahou marque aussi peutêtre des points dans l’opinion publique israélienne, de plus en plus lassée par cette guerre interminable et atrocement meurtrière à Gaza, et notamment auprès des familles des otages qui lui reprochent depuis des semaines, en manifestant dans tout Israël, d’être bien plus préoccupé par une opération militaire d’ampleur à Rafah que par la libération des prisonniers, et ce en grande partie pour assurer sa propre survie politique. Ces libérations ne peuvent que le conforter dans sa détermination à refuser un cessez-le-feu avant l’éradication complète du Hamas.
Depuis Paris, où il achevait une visite d’Etat de cinq jours autour des célébrations du 80e anniversaire du Débarquement, le président américain, Joe Biden, a salué ces libérations. «Nous n’arrêterons pas de travailler tant que tous les otages ne seront pas rentrés chez eux et qu’un cessez-le-feu n’aura pas été signé. Il est essentiel que cela se produise», a-t-il déclaré. A ses côtés, le président français, Emmanuel Macron, s’est également réjoui de la libération des otages et a rappelé «souhaiter un cessez-le-feu». «Nous soutenons la proposition du président Biden pour obtenir la libération des otages et un cessez-le-feu», a-t-il dit. Paradoxalement, l’opération réussie de samedi risque de compliquer les négociations autour d’une trêve. Peu de temps après, les déclarations menaçantes se sont en effet multipliées. «Israël ne peut imposer ses choix au Hamas et le groupe n’acceptera aucun accord qui n’assurera pas la sécurité des Palestiniens», a déclaré Ismaïl Haniyeh, représentant du bras politique du Hamas. Un autre officiel de l’organisation, Sami Abu Zuhri, a également affirmé à Reuters que «récupérer quatre otages après neuf mois de combats est un signe d’échec, pas de succès». Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a appelé de son côté à une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU après ce qu’il a qualifié de «massacre sanglant mené par les forces israéliennes» dans le camp de Nusseirat. Environ 250 personnes, la plupart des civils, ont été enlevées lors de l’attaque terroriste du 7 Octobre menée par le Hamas ; 105 d’entre elles avaient été libérées et échangées contre des prisonniers palestiniens lors de la courte, et seule à ce jour, trêve de novembre. Les dépouilles de 19 otages ont aussi été récupérées par l’armée israélienne. Après les libérations de samedi, il resterait encore 120 otages à Gaza, dont une trentaine décédés.
Les efforts pour obtenir une trêve vont pourtant se poursuivre la semaine prochaine avec une nouvelle visite du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken – sa huitième depuis le 7 Octobre– au Moyen-Orient.
Il devrait se rendre notamment en Israël, en Egypte, au Qatar et en Jordanie, entre ce lundi et mercredi. Il voudra pousser les protagonistes à accepter les conditions de l’accord présenté fin mai, mais les derniers événements pourraient compliquer sa tâche. Il rencontrera un Nétanyahou sans aucun doute défiant alors que, ces dernières semaines, le gouvernement américain a multiplié les signes d’agacement vis-à-vis de son allié israélien. A cinq mois exactement de l’élection présidentielle, Joe Biden ne veut plus perdre de temps pour tenter de résoudre ce conflit qui pèse lourdement sur son opinion publique et ses électeurs. Le président américain a, à plusieurs reprises, exprimé son inquiétude et sa désapprobation vis-à-vis de la volonté affichée par Nétanyahou de lancer une offensive totale sur Rafah, et a menacé de suspendre certaines livraisons d’armes, sachant que l’aide militaire américaine représente 70 % des importations d’armes d’Israël.
AFFRONTEMENTS
La visite de Blinken intervient également alors que les inquiétudes sur une extension du conflit vers le Liban se multiplient à la suite d’échanges de tirs de plus en plus nourris avec la milice du Hezbollah, soutenue par l’Iran. Dimanche, l’armée israélienne a fait état d’un tir de barrage d’au moins dix roquettes depuis le Liban vers Israël.
Selon le Wall Street Journal, le Qatar et l’Egypte auraient eux-mêmes menacé les dirigeants du Hamas de possibles arrestations, gels de leurs avoirs, sanctions et expulsion de Doha – où se trouve une partie des dirigeants politiques du mouvement terroriste – si ceux-ci n’acceptaient pas les conditions de l’accord présenté par les Etats-Unis. En dépit de la joie en Israël après l’annonce de la libération des otages, des manifestations contre le gouvernement et pour obtenir de nouvelles élections se sont tenues samedi soir et ont entraîné des affrontements violents avec la police, qui a tiré des gaz lacrymogènes et a procédé à plusieurs arrestations. Dans un communiqué, les familles des otages ont souligné que tous les prisonniers restants ne pourraient être libérés grâce à des opérations spéciales comme celle de samedi et ont réclamé au gouvernement de trouver un accord avec le Hamas. «Regardez le bonheur et l’unité de la nation lorsque quatre otages sont libérés – la libération de tous nos otages rassemblera enfin notre nation. Trouvez un accord maintenant !» a réclamé devant le quartier général de l’armée Einav Zangauker, la mère de Matan, kidnappé dans le kibboutz Nir Oz et toujours retenu à Gaza. Dimanche, lors d’une rencontre avec un groupe de familles de victimes du massacre du 7 Octobre, Benyamin Nétanyahou lui a répondu : «Nous ne nous engagerons pas à mettre fin à la guerre sans avoir rempli nos objectifs : défaire le Hamas et tous les autres. Je ne le tolérerai pas. Et pas seulement moi. Je pense que l’opinion publique dans son ensemble ne le tolérera pas.» •