Mort du romancier et poète écossais John Burnside
John Burnside, né le 19 mars 1955 en Ecosse où il enseigna la littérature à l’université et mort à 69 ans «après une brève maladie» le 29 mai, fut d’abord célèbre en Grande-Bretagne comme poète couvert de prix. Il fut aussi collaborateur du Times Literary Supplement, du Guardian et du New Yorker. Mais c’est en tant que romancier qu’il fut connu en France où, depuis plus de vingt ans, les éditions Métailié ont publié sept de ses oeuvres (un unique recueil de poèmes, Chasse nocturne, a été traduit chez Verdier en 2009). Les titres de ces romans, dans l’ordre de leur parution, tracent les contours des domaines d’inspiration de John Burnside : la Maison muette, Une vie nulle part, les Empreintes du diable, Un mensonge sur mon père, Scintillation, l’Eté des noyés et le Bruit du dégel. Il y a dans cette oeuvre la science et la sauvagerie, la nature et l’imagination, la vérité et l’impossible vérité. Il y a d’abord le langage comme élément purement narratif puisque le narrateur fou de la Maison muette est prêt à toutes les tortures, qu’il ne voit pas comme telles, pour déterminer d’où vient ce langage, si un être immédiatement séparé des autres aura ou non la possibilité de l’acquérir. Les romans de John Burnside fourmillent ainsi d’énigmes et leur ton en fait des romans spécialement noirs cependant pourvus d’humour, mais les résolutions de ces énigmes ne relèvent pas du genre policier, quand bien même ce sont des meurtres qui sont parfois éclaircis, parce que le lecteur est tellement entraîné dans le monde créé par l’auteur qu’un assassin ne pèse guère lourd face à une émotion, un sentiment ou une sensation.
«L’illusion de l’ordre», telle qu’elle apparaît dans l’Eté des noyés, est un thème central de John Burnside. D’une certaine façon, même la psychologie se métamorphose. Le langage est en soi un récit, comme le sont aussi l’imagination, la paternité ou la terreur, mais on peut aussi bien dire que ces quatre éléments sont des secrets, il n’est pas possible de les embringuer définitivement dans aucun classement. «Le fait qu’un adulte puisse oublier les terreurs de l’enfance est un mystère pour moi, toujours est-il qu’il les oublie», écrit le narrateur d’Un mensonge sur mon père dont la mère est un «labyrinthe de contradictions» et où on lit aussi : «ce livre gagne à être considéré comme un roman». Quant aux secrets, voici dans les Empreintes du diable : «Certains de ces secrets, de part et d’autre, étaient agréables à taire, toutes les joies cachées et les bribes de connaissance qui exigent d’être dissimulées car nous savons qu’elles vont se volatiliser si nous les mentionnons, et les secrets impossibles à trahir de toute façon, parce qu’il n’existe pas de mots qui puissent les exprimer.» Dans Scintillation, est réglé à sa façon le sort des terreurs secrètes: «“C’est bien d’avoir peur des rêves”, lui avait dit son père un jour qu’Andrew s’éveillait d’un cauchemar en pleurant et en appelant à l’aide.» Dès la Maison muette, les repères temporels sont mis en cause : «Mais si les mots nous éloignent du présent, de sorte que nous n’appréhendons jamais vraiment la réalité des choses, ils font du passé une complète fiction.» Tandis que «l’avenir est une chose totalement différente. Il n’existe pas du tout, si bien qu’il devient le royaume de conjectures banales et cependant troublantes», comme l’écrivit John Burnside dans Libération en 2005, quand un écrivain était invité le samedi à raconter sa semaine.
Voici les derniers mots du narrateur des Empreintes du diable, évoquant celui qui n’est «pas le diable, somme toute» : «J’ai de la peine pour lui, je crois. Je ne lui parle jamais, je ne laisse transparaître aucun signe révélant que je sais qui il est, mais parfois j’ai envie de l’emmener là-bas, sur la pointe, pour lui montrer les oiseaux.» A la fin du Bruit du dégel, dernier roman traduit, la narratrice, aussi familière de la drogue que John Burnside de l’alcool, évoque d’abord cette vieille femme qui «décida un jour de me faire un cadeau. Et ça me parut soudain une idée magnifique que je lui doive la vie». Toutes dernières phrases : «Tout ce que je perçus d’abord, ce fut le bruit de la glace en train de fondre qui gouttait de l’avant-toit, puis je me rendis compte que c’était précisément ce que j’écoutais dans mon rêve. C’était ça. Rien de plus. Le bruit du dégel. Une sorte de musique. Une fin, et un commencement. Ici, et ailleurs.»