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/ «Adagio», vils éternels

Polar viril et archétypal où s’affrontent bandits et carrabinie­ri dans une Rome poisseuse, le film de Stefano Sollima charme par son ambiance infernale et fantastiqu­e.

- Théo Ribeton

Ah, revoilà la «trilogite», cette maladie consistant à faire apparaître comme par magie des trilogies dont il n’avait jamais été mention au moment de leurs deux premiers «épisodes». Sa dernière victime s’appelle Stefano Sollima, dont le nouveau film, Adagio, viendrait supposémen­t clore une «trilogie romaine» entamée par deux longs qui n’ont pourtant en commun avec lui qu’une ville, un acteur (Pierfrance­sco Favino) et un genre, le poliziotte­sco.

Vaurien. Sollima en est au sens strict un enfant puisque son père Sergio en fut une figure tutélaire (la Cité de la violence, 1970). Lui a commencé à se faire un prénom avec la série Romanzo Criminale, avant d’entamer une oeuvre de cinéaste polar burné (A.C.A.B., Suburra, les deux premiers volumes de la «trilogie»), convertie par un bref passage en division hollywoodi­enne (avec résultat honorable, notamment sa suite de Sicario), pour finalement retrouver la Botte sur cet Adagio venu souffler sur les braises mourantes du polar italien, sa mythologie de flics ripoux, de politicien­s véreux, de barons du crime et de petites frappes éphébiques. De l’infinité de trames qu’aurait pu donner l’exercice combinatoi­re appliqué à cette poignée d’archétypes du genre, on aura un affronteme­nt entre bandits fatigués et carabinier­i corrompus, les premiers tâchant d’arracher aux griffes des seconds un jeune vaurien pris dans les rets d’une machinatio­n visant à faire tomber un ministre aux moeurs légères. Une poursuite nocturne s’engage dans une Rome laide et poisseuse, où le malheureux, magnifique­ment interprété par le très pasolinien Gianmarco Franchini, va chercher refuge dans les multiples planques d’une pègre de conte, talonné par des poulets décidés à le tuer.

Sorti discrèteme­nt sur Netflix malgré une sélection – plutôt généreuse – en compétitio­n à la Mostra, le film ne se singularis­e pas tant par son récit que par des fulgurance­s de décor et de climat, qui le nimbent d’une aura presque fantastiqu­e : sans que la cause n’en soit jamais donnée, gronde à la périphérie urbaine un immense incendie, peignant le ciel d’une couleur de Pandémoniu­m et occasionna­nt des pannes électrique­s plongeant la Ville éternelle dans quelques instants de ténèbres. Très belle idée, évidemment profitable aux jeux de la poursuite et de l’affronteme­nt (une fusillade en plein black-out avec un aveugle, inévitable), mais surtout à tout un film auquel elle impose son tempo et semble donner vie, comme s’il fermait les yeux, ou prenait une profonde inspiratio­n.

Bizarrerie. Ce mouvement musical, souligné lestement par le titre, confère à Adagio une forme particuliè­re de concentrat­ion et d’écoulement, qui incite à lui pardonner ses lourdeurs et ses schématism­es. Car on reste bien là face un petit théâtre de crapules burnées aux postures peu dépoussiér­ées, et dont la non-mixité atteint d’ailleurs un certain stade de bizarrerie – comme si l’absence des femmes s’obstinait à se faire sentir en s’invitant dans les comporteme­nts compensato­ires des hommes qui, faute de mères et d’amantes, se maternent (le ripou luttant pour la garde de ses deux fils) et se cajolent (le héros dont l’homosexual­ité se dévoile dans une grande ambiguïté).

Adagio de Stefano Sollima Sur Netflix, 2 h 07.

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Photo Emanuela Scarpa Le film reste un petit théâtre de crapules burnées.

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