Un Français écroué en pleine brouille franco-russe
Soupçonné de «recueillir des informations sur les activités militaires» de la Russie, le chercheur Laurent Vinatier a été placé vendredi en détention provisoire.
Il fallait gâcher la fête à laquelle on n’était pas invité. Alors que toutes les caméras et les yeux étaient tournés, jeudi, vers les plages normandes où se déroulaient les célébrations du 80e anniversaire du Débarquement, en l’absence symbolique de Vladimir Poutine, les autorités russes ont interpellé à Moscou «un citoyen de la République française soupçonné de recueillir des informations sur les activités militaires de la Fédération de Russie», peut-on lire sur la chaîne Telegram du Comité d’enquête russe. Vendredi, Laurent Vinatier, citoyen français travaillant pour une ONG suisse, a été placé en détention provisoire jusqu’au 5 août. Sur une vidéo qui accompagnait le premier post, jeudi, des hommes masqués et armés interpellent le client d’un café, dont le visage est flouté, l’accompagnent dans une fourgonnette de la police, avant de le faire entrer dans un bâtiment administratif.
Agents de l’étranger. Selon les autorités russes, le Français s’est rendu en Russie à plusieurs reprises, notamment à Moscou, pour des réunions avec des informateurs russes, procédant pendant des années «à une collecte ciblée d’informations dans le domaine des activités militaires et militaro-techniques», dont la possession par «des sources étrangères pourrait être utilisée contre la sécurité de l’Etat». Il est également, et curieusement, sous le coup d’une procédure pénale pour avoir omis de s’inscrire au registre des agents de l’étranger, une procédure qui, en théorie, ne concerne que les citoyens russes.
Le chercheur Laurent Vinatier, 48 ans, travaille pour le Centre pour le dialogue humanitaire (HD), une ONG basée à Genève spécialisée dans la médiation de conflits. Spécialiste de la Russie et de l’espace post-soviétique, il est aussi l’auteur d’ouvrages sur la Tchétchénie. Mais ces dernières années, il se consacrait essentiellement au conflit entre la Russie et l’Ukraine, après l’annexion de la Crimée en 2014 et le soutien du Kremlin aux séparatistes dans le Donbass. Selon plusieurs sources interrogées par l’AFP, il était engagé dans une diplomatie discrète, voyageant à la fois en Russie et en Ukraine, même après le début de l’offensive russe du 24 février 2022. Selon les Echos, en 2023, il «avait notamment organisé une rencontre à Istanbul entre des figures libérales du secteur économique russe et des représentants patronaux européens. L’idée était de se concentrer sur des sujets concrets, économiques notamment, qui peuvent encore rapprocher Russes et Européens, au-delà des tensions provoquées par “l’opération militaire spéciale” du Kremlin depuis février 2022.»
Monnaie d’échange.
«Il recevra toutes les protections consulaires qui conviennent dans
un tel cas.» Emmanuel Macron jeudi
«Nous nous efforçons d’obtenir plus d’indications sur les circonstances et d’obtenir la libération de ce Français», a affirmé l’organisation jeudi soir. Selon les médias suisses, le chercheur a par le passé collaboré avec d’autres entités genevoises, comme le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le dispositif «Small Arms Survey». Les médiateurs de HD travaillaient dans la confidentialité, hors des carcans de la diplomatie classique, ce qui les expose plus facilement à des accusations d’espionnage, surtout dans le contexte actuel de défiance absolue.
Emmanuel Macron a indiqué jeudi soir à la télévision que Laurent Vinatier travaillait bien pour une ONG suisse «qui fait de la diplomatie», mais «en aucun cas pour la France». «Il recevra toutes les protections consulaires qui conviennent dans un tel cas. Mais je voulais ici rétablir la vérité face aux intoxications qu’on entend», a précisé le Président, au lendemain de l’arrestation, à Paris, d’un Ukraino-Russe de 26 ans, soupçonné d’avoir projeté une action violente.
Jusqu’à présent, la France avait été épargnée par les prises en otage de ses citoyens comme monnaie d’échange contre des agents russes détenus en Occident, contrairement aux Etats-Unis, dont plusieurs ressortissants se sont retrouvés derrière les barreaux ces deux dernières années. Mais depuis que le président français a mentionné la possibilité d’envoyer des soldats français en Ukraine, les relations entre Paris et Moscou semblent se tendre de jour en jour. Après les dernières annonces d’envoi d’avions de chasse, le Kremlin a accusé l’Elysée d’actions et de déclarations «très provocatrices», qui «alimentent les tensions sur le continent et ne mènent à rien de positif». «Macron démontre un soutien absolu au régime ukrainien et déclare que la République française est prête à participer directement au conflit militaire», a encore dit le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov.
Ces derniers mois, la Russie est soupçonnée de multiples actions d’ingérence, d’intimidation ou de désinformation, dont l’installation, la semaine dernière, de cercueils au pied de la tour Eiffel, et avant cela, d’avoir commandité des tags en mai sur le mémorial de la Shoah et des étoiles de David bleues marquées au pochoir à Paris et dans sa banlieue en octobre 2023.