Libération

Avril et l’Etat au secours de Metex

- ALAIN AUFFRAY

Amiens, une fois encore épicentre des inquiétudes sur la désindustria­lisation. Comme ils l’avaient fait devant d’autres usines picardes en péril, Goodyear en 2013 puis Whirlpool en 2017, les politiques en campagne –Manon Aubry pour LFI, Raphaël Glucksmann pour les socialiste­s, Marie Toussaint pour les écolos et Léon Deffontain­es pour les communiste­s– auront tous défilé ces dernières semaines devant l’usine Metex, en redresseme­nt judiciaire depuis mars. La pression a payé : Metex sera probableme­nt sauvé par le groupe agroalimen­taire Avril, dont le dirigeant n’est autre qu’Arnaud Rousseau, patron de la FNSEA, avec un appui majeur de l’Etat puisqu’un fonds de la banque publique Bpifrance pren dra près de la moitié du capital. Metex (Metabolic Explorer) est un leader de la fermentati­on industriel­le du sucre qui produit de la lysine, acide aminé utilisé dans la nutrition animale, la cosmétique et la pharmacie. Ses concurrent­s chinois ayant inondé le marché de l’UE, l’usine d’Amiens, la seule en Europe, était menacée de fermeture, laissant ses 280 salariés sans emploi. Le 23 mai, Metex a obtenu l’ouverture par la Commission européenne d’une procédure antidumpin­g contre les importatio­ns de lysine chinoise. La décision n’est pas attendue avant des mois, mais la réponse de Bruxelles traduit, selon l’industriel, «une volonté manifeste de rétablir une concurrenc­e loyale sur des acides aminés, essentiels à la souveraine­té alimentair­e européenne».

Tout indique que, cette fois, l’histoire pourrait bien se terminer. Sourires, embrassade­s, pas de danse sur le parking : plusieurs dizaines de salariés ont fêté leur «victoire». L’offre de reprise déposée in extremis lundi par le géant Avril, leader des huiles et protéines végétales (marques Lesieur et Puget), portera aussi sur un centre de recherche dans le Puy-de-Dôme. Soit au total 304 emplois. L’Etat contribue à l’offre via le fonds SPI, géré par Bpifrance, pour 45%, précise le cabinet de Xavier Bertrand, président des Hautsde-France, qui, avec Amiens Métropole, apporte un soutien à l’investisse­ur. L’affaire est donc mieux engagée qu’elle ne l’était pour l’usine Whirlpool, fermée pour cause de délocalisati­on de la production de sèchelinge­s. François Ruffin, député de la circonscri­ption, veut bien reconnaîtr­e que les discours ont changé et que le gouverneme­nt s’est donné les moyens de sauver cette industrie. Omniprésent sur le site – il y a fait une douzaine de visites en un an – il a fêté l’événement avec les salariés. Sans crier victoire: «On a construit une solution avec des mesures d’exception. Mais la macronie n’est toujours pas prête à envisager un changement des règles du jeu. Il faut en finir avec le libre-échange. Ce qu’il faut, c’est du protection­nisme.»

Si Metex a fait l’objet d’une attention si particuliè­re, c’est que sa production relève, bien plus que celle des sèchelinge­s, de la souveraine­té industriel­le et alimentair­e. Elle a développé plus de 450 brevets autour des biotechnol­ogies. «Pendant le Covid, on était considérés comme une industrie stratégiqu­e, on travaillai­t alors que tout le monde était confiné», rappelle Samir Benyahya, délégué CFDT. Le groupe fait valoir que l’incorporat­ion de lysine dans l’alimentati­on du bétail, qui renforce la croissance musculaire des animaux d’élevage, réduit le recours au soja importé, au profit de protéines végétales locales. Et, selon les syndicats, la lysine de Picardie émettrait cinq fois moins de carbone que la lysine chinoise. Ce qui fait dire à Ruffin que la victoire des salariés est aussi celle de la planète. Il aura suffi d’une explosion conjonctur­elle du coût d’une matière première pour mettre en péril cette production. Tandis que le prix du sucre (qui entre pour moitié dans le coût de fabricatio­n de la lysine) doublait sur fond de guerre en Ukraine, la Chine écoulait ses énormes surplus, au point que 85 % du marché de la lysine était couvert par la production chinoise. Au début de l’année, Ruffin interrogea­it le ministre délégué à l’Industrie, Roland Lescure : «Vous avez une responsabi­lité : la lysine est-elle une molécule importante ou non ? Pouvons-nous devenir 100 % dépendants des importatio­ns chinoises ?» Lescure s’était rapidement engagé sur l’avenir de ce site «extrêmement productif et innovant». Il a même promis de sécuriser un prix du sucre compétitif. Un arrangemen­t avec Tereos, principal fournisseu­r de Metex, aurait été trouvé.

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