Libération

Sauver Israël, malgré Benyamin Nétanyahou

- Par Serge July Cofondateu­r de «Libération»

Toutes les guerres sont dévastatri­ces. Celle entre Israël et le Hamas l’est particuliè­rement. Elle fait de trop nombreuses victimes civiles parmi les réfugiés palestinie­ns, des victimes qui s’ajoutent à celles du pogrom commis par le Hamas le 7 octobre 2023. En fin de semaine, Joe Biden, dont la campagne électorale est rendue compliquée par le conflit, a préféré proposer lui-même un plan de paix en trois étapes de six semaines chacune, qui prévoit si tous les engagement­s sont respectés une cessation permanente des hostilités, un retrait progressif des soldats israéliens, et, au bout du processus, une reconstruc­tion de Gaza avec des capitaux américains. Pour avoir une chance d’aboutir, l’initiative du président américain devra réussir à contourner les forcenés des deux camps qui feront tout pour empêcher sa réussite. Le Premier ministre israélien, qui est devenu un expert de la fuite en avant, a poursuivi pendant toute sa carrière un objectif principal : jamais d’Etat palestinie­n. Pour durer à son poste, malgré ses échecs, il a appliqué une seule méthode : gagner du temps en pratiquant une sorte de guerre perpétuell­e.

Ultimatum

Aujourd’hui, il la livre contre le Hamas, une organisati­on terroriste islamiste et anti-Organisati­on de libération de la Palestine (OLP), dont il a facilité l’installati­on à Gaza. Il y a peu, Nétanyahou voulait une guerre contre le Hezbollah, heureuseme­nt évitée par Biden. Parmi les forcenés qui participen­t à la coalition gouverneme­ntale de Nétanyahou se trouvent les dirigeants des partis d’extrême droite, tous partisans d’un grand nettoyage ethnique et de la conquête de nouveaux espaces à coloniser. Les forcenés du côté du Hamas sont non seulement des terroriste­s islamiques mais aussi des partisans du nettoyage ethnique, mais inversé. Ils rêvent, entre le Jourdain et la mer, d’une «Palestine sans les juifs». Parmi les forcenés enfin, il y a l’Iran, à la fois l’armurier et le pousse-au-crime antisémite de la région.

D’où le scénario d’un plan d’origine israélienn­e mais mis en musique par le président américain. Dimanche, un conseiller du Premier ministre israélien a jeté un froid en déclarant que le texte présenté n’était «pas un bon accord» et qu’il y avait «beaucoup de détails à régler». Comprendre que la charge à court terme de forcer la main à Nétanyahou reviendra à Biden. Soit en provoquant la démission de l’extrême droite colonisatr­ice, ce qui provoquera­it à terme de nouvelles élections, Nétanyahou de par la loi israélienn­e exécutant quand même les affaires courantes pendant trois mois. Soit en provoquant une autre démission, celle du général Gantz, son rival centriste, qui siège au conseil de guerre et dirige le Parti de l’union nationale, après avoir été le chef d’état-major de Tsahal pendant quatre ans. Celui-ci a fixé à Nétanyahou un ultimatum, à la date du samedi : s’il n’y a toujours pas de plan pour l’avenir de Gaza, le général Gantz serait prêt à démissionn­er.

Mais l’objectif de Biden avec ce plan ne s’arrête pas aux démissions espérées de l’extrême droite. Il s’agit avant tout de provoquer un grand mouvement d’opinion en Israël même, en faveur de la fin de la guerre, de la reprise de l’économie et de la libération des otages. Mais aussi de faire bouger l’opinion internatio­nale, avec l’espoir que ce plan soit susceptibl­e de neutralise­r la campagne anti-israélienn­e qui a déferlé sur le monde, et spécialeme­nt sur les campus américains. Il faut dire que les bilans de Nétanyahou sont assez sombres. Sur le plan sécuritair­e, il n’a pas su éviter le pogrom du 7 Octobre alors que la sécurité d’Israël était au coeur de son programme. Lorsque Golda Meir en 1973 avait été surprise par l’offensive arabe, elle avait dû démissionn­er.

Lignes rouges

Après 241 jours de «bombardeme­nts indiscrimi­nés», Nétanyahou a certes rasé Gaza, tué beaucoup de Gazaouis (on évoque désormais près de 40 000 victimes), certes utilisés par le Hamas comme boucliers humains, mais les chefs du mouvement terroriste continuent de lui échapper. C’est là encore une défaillanc­e flagrante du renseignem­ent, les dirigeants du Hamas n’ayant sans doute pas été aussi surveillés qu’il aurait été nécessaire. Le Hamas est en tout cas loin d’avoir disparu, comme en témoigne le lancement de plusieurs missiles sur Tel-Aviv le 26 mai. Et on peut malheureus­ement supposer que le pilonnage de Gaza va motiver de nombreux Palestinie­ns, qui auront tout perdu, famille, emploi, maison, et qui seront en quête de vengeance…

Le bilan diplomatiq­ue du Premier ministre israélien est également catastroph­ique. Il est aujourd’hui en conflit avec la présidence américaine – son principal allié. Les lignes rouges fixées aux offensives militaires israélienn­es par le Pentagone ont toutes été franchies, au mépris des impératifs électoraux de Joe Biden. Nétanyahou a enfin engagé une bataille diplomatiq­ue avec l’ONU et la Cour pénale internatio­nale, qui a conduit aux mandats d’arrêt lancés par le procureur à l’encontre des dirigeants israéliens et ceux du Hamas, le tribunal de La Haye envoyant le message explicite, mais décidément inaudible par le chef du gouverneme­nt israélien, que «personne n’est au-dessus des lois».

Les Israéliens sont divisés face à la propositio­n de Biden : selon la chaîne de télévision israélienn­e Kan 11, 40 % d’entre eux sont en faveur du plan, 27 % sont contre et 33 % ne se prononcent pas. Commentair­e tranché d’Ami Avalon, l’ancien chef du Shin Beth, le renseignem­ent intérieur israélien, sur le bilan de Nétanyahou : «Si on refuse la paix, ce qui nous attend sera pire que le 7 Octobre.» •

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Photo Abir SultAn. AP Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, le 6 mai à Jérusalem.

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