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Ma pire rando «On lâche la corde et... on part dans le vide»

Récit En randonnée, il y a le marcheur qui anticipe le moindre pépin et celui qui part la fleur au fusil. Jusqu’au jour où la catastroph­e arrive... Parti pour une rando «tranquille», Guillaume, 33 ans, raconte son aventure.

- Recueilli par MaRGaux Gable Photo Matthieu RonDel

«En juillet 2017, je pars une semaine à Annecy avec deux amis. On n’est pas des gros aventurier­s donc on décide de suivre une rando tranquille recommandé­e par un guide de la ville. On choisit une “sportive”, rien d’impossible à part des petits passages où vous devez un peu vous agripper. Mais c’est loin d’être de l’alpinisme. Comme tous les chemins partent de la vallée, tous les participan­ts sont là. Jusqu’au moment où on ne trouve plus la trace qu’on suivait. Arrivés à une intersecti­on, les familles avec enfants partent à droite, donc on se dit que notre sentier “sportif” est celui de gauche. Déjà, c’était un mois de juillet un peu spécial : à cause d’intempérie­s, les chemins n’étaient pas très bien pistés… on aurait déjà dû hésiter à ce moment-là.

«On se met à flipper»

«Au bout de deux ou trois heures, on se rend compte que la trace a totalement disparu. Un groupe nous dépasse, deux filles d’une dizaine d’années et leurs grands-parents, ce qui nous rassure un peu. Le monsieur nous dit qu’il connaît bien la région et qu’il suffit de monter encore pour retrouver la marque. Le petit groupe monte tout droit à travers la montagne en direction du pic, et, je sais pas pourquoi, on se met à les suivre. Plus on monte, plus ça devient raide et on finit quasiment allongés sur la paroi, à se faire des frayeurs quand on trébuche sur une pierre. Tout en haut, sur la crête, le monsieur va jeter un oeil de l’autre côté. On n’est pas encore inquiets à ce moment-là parce que la femme nous dit qu’ils ont l’habitude de marcher avec lui, que c’est un randonneur chevronné. Quand il revient, il a cette phrase qui glace un peu tout le monde : “Bon, je vais

encorder les petites.”

«Là, les petites commencent à paniquer. Elles comprennen­t qu’encorder, ça veut dire que c’est pas une simple balade avec papi et mamie. L’homme accroche les filles en pleurs et nous explique qu’il faut passer le long de la paroi sur un passage d’environ un mètre de large. Donc à gauche, c’est la montagne, à droite, c’est le vide. C’est là qu’on se met à flipper. Il part, dépose les petites plus loin et revient pour nous encorder à notre tour. Là, c’est non : j’ai jeté un coup d’oeil, si un de nous chute, même si on est encordés, on s’emporte.

«Le pire, c’est qu’on n’est pas du tout équipés: on est en short et baskets… c’est dire le niveau des artistes. On appelle les secours et on nous transmet les Dragons 74, l’équipage d’un des hélicoptèr­es, qui nous demandent où on est. On en a aucune idée alors on refait le chemin : on a décidé de monter la Tournette, la randonnée “sportive”, puis on est partis à gauche. On nous demande comment on est équipés et si on a des vêtements chauds parce qu’on est déjà l’après-midi… On a une demiboutei­lle d’eau et pas de nourriture… On est vraiment légers. On transmet nos coordonnée­s GPS et on apprend qu’on est, en effet, pas du tout sur le sentier de randonnée, et qu’un équipage décolle.

«On se sent coupables de faire déplacer un hélicoptèr­e pour trois pinpins. On reçoit les ordres : faire un beau Y – comme Yes – quand ils arrivent pour dire que c’est bien nous qu’il faut venir chercher. «Donc dans les vingt minutes qui suivent, à chaque battement d’ailes, à chaque petit avion, vous avez trois idiots qui font des Y, accrochés à la paroi. Le papi réapparaît : les filles et la mamie sont prostrées de l’autre côté, elles ne veulent plus avancer alors que lui et son ego de montagnard veulent continuer. On lui dit de ne plus bouger, que les secours arrivent. L’hélicoptèr­e débarque et crée un énorme tourbillon de vent – alors qu’on n’est déjà pas très stables –, deux sauveteurs descendent et se posent à côté de nous. C’était assez impression­nant : ils se tenaient debout sur la falaise, tout détendus. On se sentait vraiment nuls.

«On est vivants !»

«A partir de là, tout devient intense. On nous dit : “Ne parlez pas, ne réagissez pas, faites ce qu’on vous dit.” On comprend que c’est dangereux, mais le papi randonneur, toujours très piqué dans son ego de devoir faire appel aux secours, rétorque : “Moi ça fait trente ans que je fais de la montagne, je redescends tout seul. C’est simple, il faut juste courir sur les talons en descendant!” N’importe quoi…

«L’hélitreuil­lage commence et au lieu de m’accrocher à un secouriste, ils me harnachent juste à mon copain Allan, pas super rassurant. On lâche la corde de survie fixée le long de la paroi et on part tous les deux dans le vide, comme un gros pendule suspendu à l’hélicoptèr­e… à 2000 mètres d’altitude. Au moment de nous faire remonter, le vent généré par les pales de l’hélicoptèr­e nous fait tournoyer sur nous-mêmes à vitesse grand V. On hyperventi­le, on stresse et on se regarde dans les yeux en se disant que ça va le faire. Mon ami est hélitreuil­lé en premier, moi, je reste suspendu dans le vide, dos au sol, les pieds contre l’hélicoptèr­e pendant encore cinq bonnes minutes. On me récupère, on me décroche et on me hisse au fond de l’hélicoptèr­e. Et là, c’est le cri du coeur: on l’a fait, on est vivants !

«Ils nous ramènent dans la vallée et répètent l’opération pour récupérer notre troisième ami et le grandpère. Puis les deux jeunes filles et leur mamie. On se relève pour les remercier, le mécanicien nous tend une petite carte de visite et balance: “Vous avez été secourus par les Dragons 74. N’hésitez pas à liker notre page Facebook.”»

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«A cause d’intempérie­s, les chemins n’étaient pas très bien pistés… on aurait déjà dû hésiter.»

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