Libération

L’effet clochette Fugue et méditation ado par Aki Shimazaki

- Par CHARLINE GUERTON-DELIEUVIN

Tout prétexte est bon pour s’inscrire dans le temps, ce qui n’est pas pareil que de le prendre. Aki Shimazaki, Japonaise installée à Montréal depuis 1991, sait faire la différence – celle-ci s’explique d’abord en publiant un roman par an, puis, en l’inscrivant dans une pentalogie. Elle a débuté en 1999 son premier cycle de cinq tomes et vient de clôturer le quatrième («Une clochette sans battant») avec Urushi. Dans Niré, le précédent livre, elle racontait l’histoire de Fujiko, la grand-mère malade de Suzuko Niré, protagonis­te de ce dernier volume. Le passé avec l’une; le futur, avec l’autre.

1 Y a-t-il des secrets ?

Elle avait dit à ses parents qu’elle serait à la plage avec S., son amie. C’est à la gare de Yonaga qu’elle se trouve. Suzuko Niré fugue de chez elle pour retrouver Tôru son frère, ingénieur en mécanique, installé à Nagoya. Elle a 12 ans mais dira qu’elle en a 14 si on l’arrête dans le train –après tout «j’étais assez précoce pour mon âge» et débrouilla­rde. Une fois arrivée, il l’emmène au «musée de son quartier [et lui] achète un livre d’art. Puis nous avons flâné dans une rue commerçant­e. Le soir, nous avons préparé ensemble un ragoût de boulettes. […] Le lendemain était un dimanche. Tôru m’a dit que nous visiterion­s Tokyo». On pourrait croire à l’expression d’une crise d’ado mais c’est une de coeur. De ce côté-là, ce n’est pas la joie: Suzuko aime son frère. Elle lui avouera quatre ans plus tard lors d’un aprèsmidi ensoleillé, en colère, «je te déteste». Il répond : «Nous sommes frère et soeur», avant d’ajouter «à Nagoya, je suis tombé amoureux. […] C’était un homme».

2 D’où vient le titre ?

Depuis cette escapade, Suzuko aime feuilleter, assise en tailleur sur son lit, les livres sur l’art japonais. «Pourtant, ce qui me séduit le plus ici, c’est le fait que ce bol ait été réparé grâce à un procédé appelé kintsugi. Les morceaux brisés sont recollés avec de la laque urushi, puis saupoudrés d’or.» Il y a longtemps qu’elle veut expériment­er cette technique pratiquée «comme une sorte de méditation». On le lui refuse. L’urushi, «arbre à laque, vernis du Japon […], laque elle-même», est jugé trop «allergène» pour sa peau. L’attente ne soustrait en rien sa volonté : elle recueille un moineau à l’aile cassée qu’elle nomme «Urushi. D’accord?». C’est seulement à la fin du roman que sa mère adoptive, céramiste, accepte de l’inscrire à un atelier durant lequel elle lui confie «une vieille clochette» ébréchée, ramenée d’une «boutique d’antiquités en République tchèque, quand [nous] visitions les marchés de poterie à Beroun». Son père explique: «Je l’avais achetée en pensant à ton nom, Suzuko, “l’enfant de la clochette”. Hélas, je l’ai laissée tomber en arrivant à la maison.» Elle la réparera.

3 «Comment peut-on être heureux sans les autres ?»

En se souvenant. Suzuko convoque plusieurs fois l’esprit de sa grand-mère «Fujiko-san», sa confidente. «Elle souffrait d’Alzheimer depuis des années. C’était assez grave mais elle n’avait jamais cessé» de la conseiller «dans un sursaut de lucidité» sur ce drôle d’«amour à sens unique». Et Kyôko, la mère biologique de Suzuko décédée à sa naissance, aide Tôru avec son homosexual­ité : «Sois honnête avec ta nature».•

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KentAro AoyAmA. AP Bols réparés avec le procédé kintsugi, Tokyo mai 2021.
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(ebook : 11,99 €).
Aki SHimAzAki UrUShi Actes Sud, 144 pp., 16 € (ebook : 11,99 €).

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