Libération

Entre Renaissanc­e et Les Républicai­ns, de la suite dans les idylles ?

- PAR VICTOR BOITEAU ET LAURE EQUY

En pleine campagne européenne, des ténors de LR enchaînent les sous-entendus qui raniment l’hypothèse, émise depuis deux ans, d’une coalition entre leur parti et le gouverneme­nt. Une brèche dans laquelle s’engouffren­t leurs opposants, même si au sein des deux mouvements perdurent les réticences.

Et soudain, le sac de noeuds parlementa­ire s’invite dans le débat des européenne­s. «On est à une semaine des élections et je pense que pour la clarté du débat, il faut que chaque parti dise ce soir s’il est dans l’opposition à Emmanuel Macron ou dans [son] soutien», dégoupille Jordan Bardella, en débat jeudi sur le plateau de CNews. Visé par son adversaire du Rassemblem­ent national (RN), le candidat Les Républicai­ns (LR), François-Xavier Bellamy, est sommé de répondre : les députés de son parti voteront-ils, lundi, les motions de censure du RN et des insoumis, censées punir le gouverneme­nt pour sa gestion des deniers publics? «Manoeuvre politique», tortille Bellamy, pas dupe du coup à venir. «Donc vous allez rester, réplique Bardella, la béquille d’Emmanuel Macron jusqu’au bout du quinquenna­t ?»

La campagne européenne avait mis sur pause la drôle de danse à laquelle s’adonnent, depuis deux ans, le gouverneme­nt, en quête d’une majorité à l’Assemblée, et le parti de droite, tantôt opposant acharné tantôt partenaire contrarié. Mais à l’approche du scrutin, les deux camps reniflent à nouveau leurs intentions réciproque­s. Toutes les options sont ouvertes, au point de dessiner cette situation baroque : pour LR, faut-il accepter l’offre jusqu’ici déclinée, d’une coalition avec les macroniste­s… ou, au contraire, tenter de faire tomber le gouverneme­nt? A moins de continuer à vivoter en négociant des accords sur chaque texte? Et du point de vue de l’exécutif, est-il possible de voir LR passer de potentiels censeurs… à alliés ?

«AILE MODÉRÉE DU RN»

«La tentation est de laisser passer l’orage après le 9 juin, mais ne faudra-t-il pas tendre la main aux LR pour éviter de se faire manger comme des petits cochons sur le budget?» se demande un proche du Président. Après la brutale dégradatio­n des comptes publics en début d’année, la droite, tentée de déposer une motion de censure, songe à mettre sa menace à exécution à l’automne, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, avec une chance réelle de renverser le gouverneme­nt.

Premier visé par ce scénario catastroph­e, Gabriel Attal semble aussi le mieux placé pour amadouer LR, qui a apprécié son passage à l’Education et ses couplets sur l’autorité. Celui qui entretient de bonnes relations avec Eric Ciotti et a, selon la Tribune dimanche, dîné avec Laurent Wauquiez le 15 mai, tient à ménager la droite. Il demande à ses ministres de répondre correcteme­nt aux parlementa­ires LR lors des questions au gouverneme­nt. Et multiplie les entrevues. Sceptique sur l’idée d’une coalition, le Premier ministre a notamment interrogé le président de la droite à l’Assemblée nationale, Olivier Marleix, et le député du parti Pierre-Henri Dumont sur cette

option. Successive­ment, les deux lui ont fait la même réponse : un tel accord ne garantit pas le soutien de la quarantain­e de députés LR (sur une soixantain­e) qui lui permettait d’obtenir une majorité absolue. En boomerang, l’aile gauche de Renaissanc­e fuirait illico. Mais l’idée de pactiser avec le pouvoir tourmente aussi LR. C’est la seule chance de survie pour un parti moribond dans les urnes, défendent les uns : «S’il ne se passe rien, prévient un député, la recomposit­ion à droite pour 2027 se fera sans nous.» Le député Renaissanc­e (ex-LR) Robin Reda pose l’équation : «Veulent-ils survivre en tant que droite républicai­ne, avec la marque du gouverneme­nt, ou être l’aile modérée du RN ?» Rejoindre la fin de l’aventure macroniste, opposent les autres, ne pourrait que mal finir. Voilà des mois que la droite théorise le délitement accéléré de la macronie après les européenne­s et les JO. Surtout ceux qui louchent sur l’Elysée, comme Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand. «Macron essaie de faire croire aux Français que les LR sont des traîtres, qu’ils sont prêts à se vendre, charge Olivier Marleix. Mais il n’a aucune envie de partager le pouvoir. Un Premier ministre LR, je n’y crois pas.» «Il ne reste à Emmanuel Macron qu’un seul pouvoir, embraye Pierre-Henri Dumont, celui de nomination. Donc il s’amuse! C’est Scar qui joue avec la souris dans le Roi lion.»

Reste l’ambiguïté des ténors LR… Passé le 9 juin, «il faudra bien qu’on apporte une réponse», a lâché mercredi le président du Sénat, Gérard Larcher, à l’AFP. «Si réellement l’extrême droite est à 40% […], on ne peut pas faire comme si les Français ne nous avaient pas envoyé un message.» Lui, l’ancien vétérinair­e de campagne archétype de l’ancien monde, se verrait-il à Matignon ? Il jure qu’il ne réclame rien, mais… «Peut-on continuer le cabotage actuel? C’est la question. Quel est l’intérêt du pays ?» «Pour lui, Matignon serait un aboutissem­ent personnel», analyse un député LR.

BIZARRERIE

Le patron du parti, Eric Ciotti, n’est pas plus limpide. S’il pilonne la politique du gouverneme­nt, jamais il ne ferme clairement la porte à un partage des responsabi­lités. Les observateu­rs ont vu dans son offensive dans le JDD, début mai, sur son thème fétiche de la sécurité, une offre de service à peine déguisée. Travailler avec le gouverneme­nt pour abaisser la majorité pénale à 16 ans ou relancer les internats de réinsertio­n créés par Nicolas Sarkozy ? «Nos propositio­ns concrètes, étayées et responsabl­es sont sur la table, suggère le Niçois. La balle est dans la main d’Emmanuel Macron.» Comble de la bizarrerie, à la même période, Ciotti dit à une ministre que si la droite ne censurait pas le gouverneme­nt, elle «passerait encore pour [sa] béquille»… Tout en avouant que son camp ne saurait pas vraiment ce qu’il ferait après un tel geste. Je te tiens, tu me tiens…

Quel crédit accorder à LR ? De la réforme des retraites à la loi immigratio­n, le gouverneme­nt a payé pour voir. La même ministre relève que le moindre soutien sur un texte ponctuel se négocie au prix de lourdes concession­s : «Quand ils votent avec nous, les LR considèren­t encore qu’on leur arrache le coeur. Alors, un accord global…» «Les efforts d’Alexis Kohler [le secrétaire général de l’Elysée, ndlr] et de Gabriel Attal pour appeler tout le monde sont sans succès, conclut un interlocut­eur régulier du chef de l’Etat. Les députés LR ont la gourmandis­e aux lèvres, ils ont envie de se taper le gouverneme­nt.» Derrière le remuant Aurélien Pradié, la jeune garde LR en rêve. Partisan d’une coalition, Nicolas Sarkozy a récemment mis en garde ses anciens camarades sur les dégâts possibles d’une censure. «C’est vous qui avez la responsabi­lité», glissait-il le 24 mai en petit comité, autour d’un morceau de salers et d’une truffade. Ce jour-là à Aurillac (Cantal), l’ex-Président commémore les 50 ans de la mort de Georges Pompidou… Seul Premier ministre de la Ve renversé, en 1962, par une censure de l’Assemblée.

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à Paris, en novembre 2021.
ThibAulT CAmus. AFP Emmanuel Macron et Gérard Larcher à Paris, en novembre 2021.

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