«Emilia Perez», poussive la chansonnette
A coups de tableaux hypervolontaristes, Jacques Audiard en fait trop dans cette comédie musicale improbable, où un narcotrafiquant mexicain repenti change de sexe.
EMiLia PErEz de Jacques Audiard, avec Zoe Saldana, Selena Gomez, Karla Sofía Gascón… 2 h 10. En salles le 28 août.
Nouveau contre-pied de Jacques Audiard à son cinéma, Emilia Perez débarque à Cannes en s’annonçant comme du jamais-vu. On confirme. Tout en saisissant intuitivement pourquoi aucun auteur français, jusqu’ici, ne s’était réveillé un matin foudroyé par la nécessité d’écrire une comédie musicale sur la transition de genre d’un baron de cartel mexicain.
Les Olympiades exhalait déjà un sentiment d’arbitraire. Mais rien de comparable à la démonstration de force de cette superproduction déroulée dans la capitale mexicaine, tournée en espagnol dans un studio d’Ile-deFrance avec zéro tête d’affiche mexicaine dedans. Zoe Saldana interprète Rita, qui trime dans une Mexico gangrenée par la corruption. Elle est avocate mais précaire dans un gros cabinet, ses talents mis au service du blanchiment de criminels.
Un jour, un narcotrafiquant (l’actrice trans espagnole Karla Sofía Gascón) la kidnappe pour qu’elle l’aide à changer de sexe. S’étant fait passer pour mort auprès de sa famille pour embrasser sa nouvelle vie de femme, le dénommé Manitas voit la lumière et renaît en Emilia Perez. Laquelle fonde une association de bienfaisance au bénéfice des victimes du narcotrafic, et s’arrange pour que ses enfants et sa jeune «veuve» volage (Selena Gomez) emménagent auprès d’elle, se faisant passer pour une parente éloignée. Audiard se retrouve de nouveau à en faire trop dans le rôle du néoconverti aux enjeux de l’époque, s’étant adjoint les talents de la compositrice Camille et d’une nouvelle garde de chorégraphes pour imaginer ses tableaux musicaux hypervolontaristes à la gloire de l’autodétermination de genre – le refrain «Vaginoplastie! Rhinoplastie!» pourrait faire date. Pour le ton, ça fait l’effet d’une start-up qui imiterait Almodóvar, balançant entre le camp de brocante et les fusils-mitrailleurs du thriller d’action. Pour le fond, les angles morts crèvent les yeux. Ce récit de rédemption offrait une mise en perspective possible entre les dépouilles introuvables du Mexique ravagé par ses gangs –des centaines de milliers de disparus qu’Emilia Perez, la première responsable, met un point d’honneur à retrouver – et la disparition symbolique du corps du mari. Tant pis pour nous. Emilia Perez prouve qu’on peut faire un film d’alpha avec un sujet queer, perdre le nord de la modernité en croyant l’exaucer, signer un film d’exploitation où le zèle progressiste se disqualifie lui-même.