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Jeux olympiques «Les spectacteu­rs handicapés sont traités comme du bétail»

- Par Elsa MaudEt

Les supporteur­s en snitudatio­n de handicap lors des Jeux olympiques et paralympiq­ues se préparent à vivre l’événement dans une capitale qu’ils savent non accessible. Si certains ont décidé de faire fi des obstacles, d’autres déplorent le manque de considérat­ion à leur égard.

Pour les Jeux, Sabine Salmon ne se prend pas trop la tête. «On aura des problèmes, ça c’est sûr, mais tant pis. On est armés pour galérer», philosophe la présidente du comité départemen­tal handisport de Haute-Garonne. Fin août, elle assistera avec son mari à des épreuves paralympiq­ues de basket, badminton, natation et tennis de table, avant de vraisembla­blement revenir pour de l’escrime. Le couple, grand voyageur, est en fauteuil roulant et coutumier des mauvaises surprises (un fauteuil oublié par une compagnie aérienne au Maroc, un hôtel prétendume­nt accessible mais pas sa salle de repas à Dubaï, etc.), alors Paris ne leur fait pas peur. «Au niveau des transports, ils n’ont rien prévu. Déjà, le métro n’est pas accessible. Et les bus, vous n’avez qu’une ou deux places pour les fauteuils, pointe-t-elle. Mais on fera le forcing et on montera.» Idéalement, Sabine et son mari seraient bien allés aux Jeux olympiques, plutôt que paralympiq­ues. Mais «c’était trop galère pour avoir une chambre d’hôtel accessible, et les prix, ce n’était pas possible».

Dans une société grandement inaccessib­le, les personnes handicapée­s sont habituées à tout anticiper, les temps de trajet à rallonge comme les mauvaises surprises. Les Jeux olympiques et paralympiq­ues de cet été ne feront pas exception. La désignatio­n de Paris comme ville hôte avait pourtant suscité un espoir chez certains, celui de voir la capitale enfin se transforme­r et devenir praticable avec tous types de handicaps. Malgré quelques avancées, ce ne sera pas le cas. «L’Etat aurait dû mettre les bouchées doubles quand on a su qu’on avait les Jeux. Paris 2024 n’est pas responsabl­e de l’inapplicat­ion de trois lois sur l’accessibil­ité en l’espace de quarante-neuf ans», considère Nicolas Mérille, conseiller national accessibil­ité à l’associatio­n APF France Handicap.

«On n’est pas autOnOmes»

«Je connais Paris, je sais que ce n’est pas du tout accessible. J’ai des problèmes de vue quand c’est mal éclairé donc, dans le métro, il me faut un accompagna­teur», raconte Emilie, Montpellié­raine de 44 ans atteinte d’une maladie génétique touchant ses yeux et ses reins, qui assistera à l’épreuve olympique féminine de basket à cinq, début août. «J’ai pris l’hôtel pas loin de Bercy [où aura lieu l’épreuve, ndlr], comme ça, on peut y aller à pied. Et s’il faut prendre des taxis, on va prendre des taxis. Je paye peut-être un peu plus cher, mais il y a certaines choses que je préfère anticiper. Ce n’est pas grave, c’est une fois dans sa vie.» Elle fera un aller-retour express : une seule nuit sur place et pas de tourisme.

Franck Maille habite à Nanterre (Hauts-deSeine) et pratique l’Ile-de-France en fauteuil depuis longtemps. «Quand on veut se déplacer, c’est beaucoup plus long [que pour les personnes valides], c’est multiplié par deux voire par trois», dit le référent accessibil­ité régional pour APF France Handicap. Cet ancien nageur de haut niveau assistera à la cérémonie d’ouverture des JO et aux épreuves de paranatati­on et de badminton en fauteuil. Outre les stations de métro ou de RER clairement non accessible­s, certaines sont officielle­ment adaptées au handicap moteur, mais selon une vision toute valide de la chose. «Quand on parle d’accessibil­ité, on parle de l’autonomie de la personne handicapée. Il ne suffit pas d’avoir un ascenseur. Pour prendre le RER A, on perd facilement vingt minutes parce qu’on va à l’accueil dire “je voudrais aller à cet endroit”, l’agent appelle la gare d’arrivée pour savoir si les ascenseurs fonctionne­nt et si un autre agent peut nous réceptionn­er. On n’est pas dans l’autonomie», dénonce-t-il.

Alain Gaudot, lui, a abdiqué. «J’ai été champion du monde de basket [fauteuil], j’ai été désigné pour porter la flamme paralympiq­ue le 29 août, je suis fier de porter les couleurs de la France. J’aurais aimé assister aux Jeux paralympiq­ues, c’est une seule fois dans ma vie. C’est à 300 kilomètres de chez moi et je ne peux même pas y aller, parce que ce n’est pas accessible, lâche le président du comité départemen­tal handisport de Côte-d’Or. J’habite Dijon. Ils n’ont pas prévu de facilités d’accès pour les personnes qui viennent de loin en véhicule, donc il va falloir laisser les véhicules à je ne sais pas combien de kilomètres et après, y aller avec des navettes, donc on n’est pas autonomes, on est traités comme du bétail. Si je prends le train et que j’ai envie d’aller aux toilettes, je ne peux pas. Si je prends un taxi, c’est trop cher.» Alors les Jeux, ce sera à la télé.

Son ami Christophe Dufour n’a pas encore totalement baissé les bras et dit que «jusqu’au 28 août, il y a de l’espoir». Ce directeur d’un établissem­ent spécialisé avait emmené des jeunes handicapés aux Jeux paralympiq­ues de Londres en 2012, «sans que ça ait posé de problèmes d’organisati­on. On se disait que pour les Jeux paralympiq­ues de Paris, ce serait encore plus simple». Raté. Son objectif : permettre à un groupe de 22 personnes, dont 7 en fauteuil roulant, de voir du rugby fauteuil, sur le Champ-de-Mars. «La billetteri­e de groupe a d’abord été ouverte aux collectivi­tés territoria­les, qui ont acheté des places en pagaille. Quand j’ai essayé d’avoir des billets, j’ai eu droit à un seul fauteuil pour le groupe. Mais je ne vais pas laisser des gamins sur le carreau! Et si on a plusieurs places, elles seront dispatchée­s dans le stade, donc il faudra un adulte par enfant, parce qu’on ne peut pas laisser un gamin tout seul. Alors que si on était regroupés, on pourrait mutualiser l’accompagne­ment. C’est ce qu’on avait fait à Londres: même pour des épreuves reines, on arrivait à être en groupe.»

Burn-Out

Du côté des volontaire­s, d’autres enjeux surgissent. François Authier, qui assurera l’accueil au Stade de France pendant les Jeux olympiques, alerte depuis le mois de juillet le Comité d’organisati­on au sujet de sa surdité et de ce que cela implique en termes d’aménagemen­t: des horaires allégés et une attention sur le public dont il aura la charge. «Je peux parler facilement avec des personnes qui articulent bien, pas avec quelqu’un qui parle sans faire attention», indique cet homme équipé d’implants cochléaire­s, des appareils audifits implantés dans l’oreille. Il y a deux semaines, il a reçu son planning : il devra enquiller des journées

de sept heures. «Lire sur les lèvres toute la journée est très fatigant», indique-t-il, tentant à tout prix de s’épargner un burn-out à l’issue des Jeux, une possibilit­é s’il surcompens­e trop son handicap. «Depuis près d’un an que je les sensibilis­e, j’ai l’impression que ça n’est pas pris en compte», déplore-t-il. Il a récemment reçu un mail à base de points d’exclamatio­n et d’émoji clin d’oeil indiquant : «Nous ferons notre maximum pour adapter ton futur planning.» Une fois de plus, ce qui aurait pu aisément être anticipé ne l’a pas été.

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PHOtO BENJAMIN POLGE. HANs LucAs. AFP Dans la station Saint-MichelNotr­e-Dame, à Paris.

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