Libération

La pression s’accentue pour une pause de la réforme

Aucune décision majeure n’est sortie du Conseil de défense à l’Elysée lundi soir. Après six nuits d’émeutes et six morts, l’exécutif peine à ramener le calme dans l’archipel. La classe politique pousse Macron à trouver une sortie à la crise.

- Laurence BenhaMou

Pas de décision majeure à l’issue du Conseil de défense qu’a tenu Emmanuel Macron à l’Elysée sur la crise en Nouvelle-Calédonie. Seul constat: «De nets progrès dans le rétablisse­ment de l’ordre.» Pas de signe donc pour l’instant d’une prolongati­on de l’état d’urgence. Mais pas non plus de réponse politique en vue. L’Elysée a seulement annoncé le déploiemen­t de militaires pour protéger les bâtiments publics. Le chef de l’Etat doit maintenant trancher entre le maintien du calendrier accéléré de sa réforme et une mise sur pause.

Devant le bilan des émeutes qui ont déjà fait six morts, dont deux gendarmes, des élus de tous bords, d’outremer et de métropole, de l’opposition et de la majorité, sont de plus en plus nombreux à réclamer un report, voire un retrait du dégel du corps électoral qui a mis le feu aux poudres, et sortir d’une logique uniquement sécuritair­e. De Yaël Braun-Pivet, présidente Renaissanc­e de l’Assemblée, à Gérard Larcher, président LR du Sénat, en passant par la gauche et le RN, tous sont en faveur d’une pause.

Jusqu’ici, le chef de l’Etat voulait au contraire accélérer. Après le vote de la réforme au Parlement la semaine dernière, il a posé une forme d’ultimatum en annonçant vouloir réunir le Congrès «avant la fin juin» pour entériner la réforme, à moins d’un accord entre les forces politiques calédonien­nes d’ici là, ce qui semble impossible en si peu de temps.

«Retrait immédiat». Mais la pression se fait plus forte contre un tel passage en force. Dimanche soir, quatre présidents d’exécutifs d’outre-mer (Réunion, Guadeloupe, Martinique et Guyane) ont réclamé le «retrait immédiat» de cette réforme décriée par les indépendan­tistes et dénoncé «une réponse sécuritair­e qui n’apporte pas de solution». «Nous, élus des outre-mer, demandons solennelle­ment au gouverneme­nt le retrait immédiat du projet de loi de réforme constituti­onnelle visant à changer le corps électoral pour les élections en Nouvelle-CalédonieK­anaky, comme préalable à la reprise d’un dialogue apaisé.» Les indépendan­tistes appellent eux aussi à suspendre cette réforme, comme l’a souligné à Libé le président indépendan­tiste du Congrès de NouvelleCa­lédonie.

En métropole, les appels à un report fusent de tous les côtés. Vendredi, Yaël BraunPivet, et Gérard Larcher, lors d’une réunion à Matignon, ont préconisé de «reculer la date» de la convocatio­n du Congrès et la formation d’une mission de dialogue. Une demande partagée par plusieurs parlementa­ires, dont le président Renaissanc­e de la commission des lois au Palais-Bourbon, Sacha Houlié, et le patron des sénateurs centristes, Hervé Marseille. L’ancien Premier ministre Manuel Valls a lui aussi appelé dimanche à un report du Congrès, où selon lui le gouverneme­nt n’est plus certain d’obtenir la majorité des trois cinquièmes. Si le président des députés LR, Olivier Marleix, a souhaité le maintien du Congrès à fin juin «pour ne pas donner le sentiment que les émeutiers gagnent», selon une source parlementa­ire, l’ensemble des élus de gauche étaient favorables à un report du Congrès et à une mission de dialogue.

«Pas à six mois près». «Quasiment tout le monde, y compris dans les groupes de la majorité, a demandé le report sine die du Congrès et une solution politique», estime le député LFI Bastien Lachaud. «C’est le dialogue, et le dialogue seulement, qui permettra aux acteurs politiques calédonien­s de bâtir un accord global», a même assuré vendredi le Premier ministre, Gabriel Attal, qui a promis de faire part de ces demandes à Emmanuel Macron, selon plusieurs participan­ts. L’échéance d’un Congrès fin juin est aussi jugée intenable par le vice-président du Rassemblem­ent national, Sébastien Chenu, qui a estimé sur BFMTV qu’«on ne va pas réunir un Congrès maintenant vu l’état des lieux». «On peut décaler, on n’est pas à six mois près», a-t-il ajouté, en demandant aussi le report des élections provincial­es prévues en décembre dans l’archipel. Seule la droite défend le maintien du calendrier, par la voix du président des Républicai­ns, Eric Ciotti, pour qui «il n’y a pas lieu de suspendre» le processus législatif.

Face à cette crise, que peut décider le chef de l’Etat ? Il peut encore décider de prolonger l’état d’urgence instauré le mercredi 15 mai au soir, afin de poursuivre l’opération de maintien de l’ordre exceptionn­elle épaulée par l’envoi de troupes sur place. Pour le maintenir au-delà de douze jours, soit après le 27 mai, le gouverneme­nt doit passer par une loi, qui pourrait être déposée dès ce mardi à l’Assemblée puis passer par le Sénat dans la foulée, afin de lui donner le temps de la validation par le Conseil d’Etat et le Conseil constituti­onnel.

Revirement. Autre choix cornélien, reculer la date de la convocatio­n du Congrès qu’il a annoncée pour fin juin, ce qui marquerait un recul, sous la pression non seulement d’une bonne partie de la classe politique, mais des émeutiers, alors que l’ordre n’a toujours pas été rétabli sur place. Resterait au Président à expliquer ce revirement aux partisans de la manière forte, alors que son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est félicité dimanche du «succès» d’une opération des forces de l’ordre pour dégager la route reliant la ville et l’aéroport internatio­nal de Nouméa. L’enjeu : ne pas sembler affaibli sur le régalien, terrain favori du RN, ni être taxé d’avoir agi dans la précipitat­ion.

En tout cas, la maire Renaissanc­e de Nouméa se disait convaincue lundi qu’Emmanuel Macon opterait pour ce report. «Il ne faut pas que le président de la République convoque le Congrès à Versailles. Pas maintenant. Je pense que le Président l’a compris», a affirmé Sonia Lagarde au journal le Monde lundi. «C’est une chose qu’il a comprise, qu’il a déjà plus ou moins annoncée», selon la maire de Nouméa, soutien de la première heure d’Emmanuel Macron, qui dit avoir été en contact avec le chef de l’Etat.

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