Libération

Kalindi Ramphul, les allumés de l’autocar

Road-trip funéraire

- Par CHARLINE GUERTON-DELIEUVIN

Cela peut sembler difficile à croire mais Kalindi Ramphul rêvait d’être dauphin ou océanologu­e. Avec «son 3 de moyenne en sciences», elle n’avait pas le profil type. Indira, la narratrice des Jours mauves, a eu «4/20 au bac d’histoire-géo», «un préambule au désastre» qui s’annonce avec son roadtrip entre l’Ile-de-France et la Haute-Garonne. Elle embarque avec ses proches à bord d’un autocar jaune, façon Little Miss Sunshine, pour disperser les cendres de Suraj Ramgulam, son père, pour l’instant dans une mallette de backgammon. Elle l’envoie «en orbite sur Mars», ne pas s’imaginer la planète, mais «l’nom du PMU en haut de Superbagnè­res où qu’on s’arsouille avec ton père quand on a fini de grimper» le col à vélo.

1 Pourquoi y aller en autocar ?

Au milieu des vingt-trois passagers bercés par le ronron de l’air conditionn­é, il y a Ludovic, le premier amant de Suraj. «Il est temps que tu saches», confie-t-il à Indira. Les deux hommes se sont embrassés lors de leur voyage au Népal il y a dix ans, et ont entretenu une relation pendant deux ans. Plus tard dans la vie de Suraj, il y a eu Laurent, lui aussi dans le car, homme au «visage fondu» par l’acide, «l’oeil coulant vers son nez, son nez coulant vers ses lèvres, ses lèvres coulant dans son cou». Laurent est une «cascade de chair rosée». Un soir où l’autocar prend feu, il relate à Indira son agression homophobe à New York. Suraj a vécu son existence entre des liaisons secrètes et son divorce avec Huguette quand sa fille avait 19 ans. Indira comprend avec ces révélation­s que son père «n’était pas que mon père, et il n’était pas qu’un mari».

2 Comment mange-t-on les liégeois aux fruits ?

Elle ne partageait rien avec son père. La petite fille détestait le voir mélanger son liégeois en «une bouillasse irrespectu­euse», elle qui le dégustait religieuse­ment, strate après strate. «Nous ne pouvions pas nous entendre», se dit-elle en grandissan­t, car leurs différence­s touchent à «tous les domaines». «Mon père aimait monter les cols à vélo, j’aimais les descendre à pied ; il n’aimait pas le cinéma, j’y passais ma vie et rêvais d’en faire mon métier; il avait du mal avec les femmes, j’en étais une» au langage fleuri. Elle a une façon de parler et de se comporter presque adolescent­e. Elle coupe la parole. L’insulte aux lèvres, elle se braque. Elle use parfois de sarcasmes pour faire rire, souvent pour tenir à distance sa peine. Elle fait le vide autour d’elle, dégage ceux qui ne sont pas assez «durs, francs» et dépourvus de «langage abrupt». Elle se dit quand même émue à la vue de son père malade grimpé sur un vélo d’appartemen­t tenant d’une main sa perfusion, de l’autre le guidon car après tout «le désespoir […], ça se vit dans l’intimité d’une chambre».

3 Est-ce drôle ?

L’équipée post-incinérati­on ne se passe pas sans anecdotes. Le bus fait le coup de la panne. Alors les voyageurs grimpent sur le toit et font «la chandelle» pour les plus souples. Les autres s’assoient en tailleur, «tous affublés de couvrechef­s différents pour éviter que leur cervelle ne rôtisse». Quant à la dispersion des cendres, on atteint un sommet. •

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POURQUOI ÇA MARCHE
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Les JoUrs MaUves JC Lattès, 268 pp., 20, 90 € (ebook : 14,99 €).
KALINDI RAMPHUL Les JoUrs MaUves JC Lattès, 268 pp., 20, 90 € (ebook : 14,99 €).

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