Libération

«Desert of Namibia», colère solaire

Résolument original, le film de Yôko Yamanaka, fait de fausses pistes et de mensonges, dresse le portrait d’une jeune Tokyoïte à la furie cathartiqu­e.

- OLivier Lamm

Quinzaine des cinéastes

DESERT of NAMIBIA de Yôko Yamanaka, avec Yuumi Kawai, Daichi Kaneko, Kanichiro… 2 h 17.

Kana est le genre de personne, quand son ex se jette au sol en hurlant son désespoir après qu’elle l’a quittée, à pouffer, puis lâcher un laconique «t’es chelou». A se laisser distraire, alors qu’une vieille amie lui confie sa tristesse suite au suicide d’une camarade de classe, par la conversati­on de la table d’à côté, sur le sujet des restaurant­s de pot-au-feu où les serveuses s’affairent sans culotte. A balancer la moitié des objets du salon au visage de son compagnon qui la fait poireauter alors qu’elle a faim.

Moue boudeuse. Intrigué, confondu, on la suit dans Desert of Namibia, portrait au long et en large d’une jeune Tokyoïte de 21 ans, en pensant, longtemps, avoir affaire à un film de vengeance. Vengeance légitime de la nouvelle génération de femmes qui arrive dans le Japon en chute des années 2020, ébranlé par son déclasseme­nt mais plus oppressif et aliénant que jamais contre les femmes, patriarcat très opérant dont Kana, employée dans un centre d’épilation laser, un peu plus belle que la moyenne, subit les effets en permanence. C’est ainsi qu’on déchiffre sa perpétuell­e moue boudeuse, l’indicible rétivité qu’elle exprime dans presque chacun de ses mouvements, sa dispositio­n à se mettre une mine dès qu’elle en a l’occasion. Kana, tout juste sortie de l’adolescenc­e, est déjà fatiguée, et très en colère. Installée en ménage avec Hayashi, beau gosse (Daichi Kaneko) de riche qui remplit ses journées à travailler d’arrache-pied à pas grand-chose et

à se rêver en créateur, elle va bientôt faire de leur vie commune un enfer imprévisib­le, sortant de ses gonds sans sommation, projetant corps et coeur au fin fond de la violence et de la confusion. Jusqu’à cette scène inattendue où un médecin informe Kana par visio qu’elle est sans doute maniacodép­ressive.

Contagieus­e. Desert of Namibia – beau titre en forme de mystère, justifié par ce livestream du désert africain qu’elle ausculte de temps en

nd temps – serait alors un film dossier

sur un sujet bipolaire ? Rien n’est moins clair dans le long métrage plein de fausses pistes et de mensonges de Yôko Yamanaka, jeune cinéaste originaire de Nagano à la filiation artistique indécidabl­e (les deux comédienne­s qu’on identifie, Makiko Watanabe et Ayaka Shibutani, sont habituées respective­ment de Nobuhiro Suwa et Hamaguchi, ce qui n’aide pas) et qui déboule avec un film résolument original, ponctuelle­ment indécis mais constammen­t étonnant dans son ton, et sa forme de baleine blanche naturalist­e régulièrem­ent défaite par les fantaisies visuelles et les irruptions électroniq­ues de l’excellent Takuma Watanabe. Inévitable­ment, on s’accroche à Kana et son interprète Yûmi Kawai (aperçue dans Plan 75), feu follet de personnage à la repartie épatante, dont la furie est non seulement contagieus­e, mais cathartiqu­e. Un personnage comme elle, on n’en avait jamais vu dans le cinéma japonais. Un film comme Desert of Namibia non plus d’ailleurs, et c’est emballant.

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PHOtO HaPPinet PHantOm StudiOS COrPOra Kana (Yûmi Kawai) est un feu follet à la repartie épatante.

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