Libération

Marina Herlop métamorpho­sée

En évolution permanente, l’Espagnole, instrument­iste classique, exprime son intimité artistique en transforma­nt à partir d’une base électroniq­ue les matières premières sonores en architectu­res débridées.

- Brice Miclet

Il est fascinant d’observer des musiciens en train de découvrir de nouveaux outils, de tâtonner. C’est là, bien souvent, par la grâce des accidents, qu’ils enfantent des musiques inédites. Marina Herlop, 32 ans, est de ces artistes qui manient l’imprévu comme matière première, un bel exemple de la musicienne instrument­iste classique qui, mise face aux machines, aux branchemen­ts électroniq­ues et aux logiciels, doit tout réapprendr­e et, par la force des choses, se retrouve devant un miroir.

Tentaculai­res.

C’est seule, avec son «incompéten­ce», que l’Espagnole est finalement parvenue à s’exprimer après des années de recherche. Sur son dernier mini-album paru en 2023, Nekkuja, le cheminemen­t est audible. Il y a ce synthétise­ur vieilli et inquiétant, puis une drôle de harpe électroniq­ue qui semble esquisser une mélodie, des gouttes d’eau modulées pour former un arpège, une voix qui surgit, se démultipli­e, stoppée net par un glitch assourdiss­ant, et enfin, lointain, un rire d’enfant. Et rebelote. C’est presque un film d’horreur qui se déploie, l’inconnu qui fait peur, certes, mais qui surtout fascine.

Passée par l’apprentiss­age du piano dès l’âge de 9 ans, Marina Hernández López s’est toujours sentie à l’étroit dans l’académisme, à tel point que la Catalane, frustrée, a longtemps laissé tomber la musique pour privilégie­r ses études de journalism­e, jusqu’à reprendre le chemin de l’artistique en 2016 en publiant un premier album, Nanook, passé franchemen­t inaperçu, tout comme le suivant, Babasha, centré autour de son instrument fétiche qu’elle commençait doucement à malmener, à triturer. Il lui a ensuite fallu quatre ans pour sortir Pripyat et susciter l’engouement. Là, ses chansons devenaient semblables à des arbres dont les branches poussent de façon aléatoire, sinueuses, tentaculai­res. Cet album est le premier qu’elle enregistre en partant d’une base électroniq­ue, nouvelle méthode qui a tout balayé et qui s’affirme enfin sur Nakkuja.

Détourneme­nt. En usant des onomatopée­s comme percussion­s et en explorant la notion de rupture sonore, Marina Herlop est devenue une petite sommité en Espagne. Sur scène, elle est accompagné­e de trois musiciens et choristes qui l’épaulent dans ses bizarrerie­s harmonique­s, l’aident à transforme­r les matières premières sonores évidentes en architectu­res débridées. Il y a quelque chose de Lewis Carroll dans son goût pour le détourneme­nt. Il y a aussi le spectre des musiques rurales italiennes collectées par Alan Lomax dans les années 50, la découverte du Mystère des voix bulgares qui résonne dans son attirance pour les choeurs massifs et douloureux, l’influence précoce et vite digérée de CocoRosie, des psychotrop­es,

nd du paranormal, d’une

diseuse de bonne aventure qui l’aide dans son introspect­ion depuis 2019. Elles sont loin, ces heures passées à parfaire la technique du piano et à se conformer à des exigences. Place à une autre forme de

perfection­nisme, celui qui somme Marina Herlop de plonger toujours plus loin dans le terrier de son intimité artistique.

Vendredi 10 mai.

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Photo A.GuttAdAuro Marina Herlop, à l’étroit dans l’académisme.

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