Relaxe d’un policier accusé de violences sur ses enfants : un modèle basé sur la force
La cour d’appel de Metz a relaxé le 18 avril un policier condamné en première instance pour des violences sur sa famille. Une décision choquante.
En relaxant un policier accusé de violences sur ses enfants au nom du «droit de correction», la cour d’appel de Metz vient de rendre une décision particulièrement choquante. En première instance, cet ancien major de la police aux frontières avait été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis probatoire de deux ans et au retrait de son autorité parentale pour des violences envers ses deux enfants âgés de 10 et 13 ans et envers son ex-épouse.
Lors de leur audition en 2022, l’un des enfants avait dit : «Quand mon père est énervé contre moi, il m’étrangle et me colle contre le mur.» Les enfants ont aussi fait état de «grosses gifles laissant des traces rouges sur la joue», de fessées, mais aussi de réflexions blessantes et d’insultes de la part de leur père. Selon les enfants, ces violences n’étaient pas gratuites mais faisaient suite à des bêtises ou à des désobéissances.
Un «droit de correction»
La cour d’appel ne conteste pas ces faits de violence, ne dit pas que l’infraction était insuffisamment caractérisée, mais elle les justifie par l’existence pour les parents d’un «droit de correction». Dans sa motivation de relaxe, elle considère qu’il «est reconnu à tout parent le droit d’user d’une force mesurée et appropriée à l’attitude et à l’âge de l’enfant dans le cadre de leur obligation éducative sans pour autant être passible de condamnation et sanction pénale».
La notion de «droit de correction» nous renvoie à une autre époque, lorsque le chef de famille avait tout pouvoir sur sa femme et ses enfants. Bien heureusement les lois ont évolué. La convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant garantit leur droit d’être protégés contre «toute forme de violence». Les parents doivent être de «bons» parents, et c’est aussi sur eux que repose le poids des normes éducatives. Si l’autorité d’un père est légitime, il est clair qu’elle ne doit aucunement s’imposer par la force et encore moins par la violence. La puissance paternelle a été transformée en autorité parentale partagée par les deux parents depuis 1970. La loi du 10 juillet 2019 sanctionne désormais les violences éducatives ordinaires et précise que l’autorité parentale doit s’exercer «sans violences physiques ou psychologiques».
Bien sûr, il ne s’agit pas de culpabiliser les parents qui peuvent ponctuellement s’énerver contre un enfant au comportement difficile. S’il faut bannir toute forme de violence dans l’éducation d’un enfant, cela n’exclut pas les sanctions légitimes. Cela va au-delà du débat entre les défenseurs d’une éducation positive, parfois perçue comme trop laxiste, et les partisans d’un retour à la discipline et aux limites. Malheureusement, on constate que la désacralisation du pouvoir paternel est parfois mal vécue par certains pères qui tendent à perpétuer les valeurs viriles anciennes. Ce père qui s’est justifié en expliquant avoir une éducation «stricte et rude» a seulement été qualifié par les juges de la cour d’appel de personnalité «entière et forte».
Dans un tel contexte, on peut s’interroger sur le vécu psychologique des enfants. Pris dans la tourmente d’une séparation parentale difficile, ils sont forcément touchés. Ils ont assisté à un fort conflit parental, qualifié de violence par leur mère. Ils ont été entendus à plusieurs reprises par différents intervenants, policiers et juges, et ils ont dû décrire le comportement violent de leur père. Même si les expertises psychologiques ont montré qu’ils allaient bien, ces enfants se sont retrouvés au coeur du conflit parental et d’une polémique judiciaire. Ils ont donc subi un stress chronique aggravé par un conflit de loyauté, ce qui risque de venir affecter leur construction identitaire (l’un des enfants a dû être hospitalisé).
Un mode de relation
La violence d’un parent a aussi un impact sur la socialisation des enfants. Ils apprennent qu’il est possible d’utiliser la violence pour dominer l’autre, et ils peuvent en venir à considérer ces comportements comme des moyens normaux de résolution des conflits. Ce père, à plus forte raison s’il était soutenu par la justice, risque de transmettre à ses deux fils un modèle de virilité basé sur la force et la violence où frapper plus faible que soi est parfaitement légitime.
Au-delà de la polémique sur les violences à enfants, on peut se demander s’il ne s’agirait pas d’un conflit beaucoup plus général évoquant une situation de contrôle coercitif familial. Les plaintes de l’ex-femme ont été considérées comme insuffisamment matérialisées, mais, encore maintenant, face à une situation de violences alléguées, les intervenants ne repèrent souvent que la violence visible. Or, ces dernières années, la notion de violence a beaucoup évolué. Il ne s’agit plus simplement de violences physiques repérables, désormais la violence psychologique est sanctionnée. Se pourrait-il que les juges de première instance aient ignoré une situation de contrôle coercitif où l’auteur de violence agresse, non dans un mouvement de colère, mais simplement pour affirmer sa domination. Dans ce type de violence, il ne s’agit nullement d’une réaction passagère mais d’un mode de relation fait de contrôle et de domination et qui s’inscrit dans la durée. C’est l’accumulation de comportements abusifs ou d’une tyrannie quotidienne qui impacte les victimes. Or, la justice est formée pour répondre aux «agressions». Sans doute faudrait-il relire différemment cette situation familiale. Une plainte pour violence à enfant est parfois une façon pour une mère de tenter de protéger ses fils du modèle de virilité toxique du père.