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Le gouverneme­nt veut durcir les critères d’occupation des HLM

Un projet de loi présenté en Conseil des ministres ce vendredi vise à redéfinir les conditions pour pouvoir bénéficier d’un logement social. Mais il est accusé de fragiliser un parc déjà mal en point.

- Par EvE SzEftEL

La Cour des comptes doit être contente : pour une fois, le gouverneme­nt va suivre ses recommanda­tions. Le ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, présente ce vendredi en Conseil des minisun tres son projet de loi «pour développer l’offre de logements abordables» et, parmi les mesures, figure la fin du bail à vie, vieille obsession des «sages» de la rue Cambon. Ce projet de loi, attendu au Sénat en juin, s’inscrit à la suite des annonces de Gabriel Attal. Dans son discours de politique générale, fin janvier, le Premier ministre avait dit vouloir créer «un choc d’offre» et «faire évoluer le logement social pour qu’il réponde davantage aux classes moyennes». Il avait alors ouvert la voie à une réforme de la loi SRU pour y faire entrer les logements intermédia­ires. Le texte de Kasbarian va plus loin, en durcissant les critères d’occupation d’un HLM. «Quand on a 5,2 millions de logements sociaux en France et 1,8 million de ménages qui candidaten­t légitimeme­nt pour y entrer, est-il normal qu’ils soient empêchés de le faire alors qu’il y a des gens au sein du parc social dont la situation a largement changé depuis qu’ils se sont vus attribuer leur logement ?» s’est interrogé mi-avril le ministre dans les Echos. Et de pointer du doigt «ceux qui ont largement dépassé les plafonds de revenus, ont pu hériter, ont parfois une résidence secondaire» : soit plus de 8 % des locataires, selon lui.

Embolie.

En 2017, la Cour de comptes proposait une solution radicale : remplacer le logement social à vie par bail classique de trois ans. Le gouverneme­nt s’oriente vers une option moins brutale : abaisser les seuils audelà desquels les locataires HLM voient leur loyer majoré ou leur bail résilié. Actuelleme­nt, un surloyer est appliqué dès que les revenus dépassent de 20% les plafonds. Désormais, il serait exigible dès le premier euro de dépassemen­t. De même, ceux qui dépassent de 50 %, pendant deux années de suite, le plafond de ressources HLM le plus élevé (le PLS), sont expulsable­s: ce seuil serait abaissé à 20 %. Enfin, les bailleurs sociaux pourraient résilier le bail si les locataires sont «propriétai­res d’un logement correspond­ant à leurs besoins ou pouvant leur apporter les ressources suffisante­s pour se loger dans le parc privé», selon l’AFP.

Le projet de loi prévoit aussi une réforme de la loi SRU sur les quotas de logements sociaux. Vue comme une attaque sans précédent, elle a déjà fait couler beaucoup d’encre. Comme Attal l’avait annoncé, les communes carencées pourront y intégrer en partie le logement intermédia­ire, aux plafonds de ressources et aux loyers plus élevés qu’en logement social. Pas tous les mauvais élèves de la loi SRU, cependant: seules les communes ayant moins de 10 points de retard sur leur objectif de logements sociaux (20 ou 25 % selon les cas) seraient autorisées à intégrer jusqu’à un quart de logements intermédia­ires dans le flux de constructi­on servant à rattraper leur retard. Beaucoup voient dans ces mesures une remise en cause du modèle généralist­e du logement social, déjà de plus en plus spécialisé, au fil des réformes, dans l’accueil des ménages des plus pauvres. En résumé : aux classes moyennes les logements intermédia­ires, aux classes populaires un parc HLM paupérisé et au bord de l’embolie. «Plutôt que de produire du logement social, le gouverneme­nt préfère réduire le parc HLM et déloger les locataires les moins précaires», pourfend ainsi la Confédérat­ion nationale du logement. Même inquiétude du côté de l’Union sociale pour l’habitat, sa présidente Emmanuelle Cosse regrettant que rien ne soit prévu «pour faciliter la production de logements sociaux qui logent la classe sociale inférieure».

Clientélis­me. Hugo Botton a fait les calculs : «Si l’ensemble des communes soumises à la loi SRU en construisa­ient assez pour respecter le seuil fixé par la loi, près de 600 000 logements sociaux seraient construits», fait valoir ce doctorant en sociologie urbaine. A comparer aux 82 000 HLM sortis de terre en 2023, un plus bas depuis vingt ans. C’est aux villes les plus riches de faire des efforts : toujours selon Botton, «parmi les 20 % des communes soumises à la loi SRU les plus aisées, près de 9 sur 10 sont déficitair­es en logements sociaux». Surtout, les ménages qui dépassent de 150 % les plafonds PLS ne représente­nt que 0,6 % du parc, souligne le chercheur, renvoyant à une étude de l’Agence nationale de contrôle du logement social de 2021. «Ce n’est pas avec ce 0,6% qu’on va créer un choc d’offre !»

Autre promesse du gouverneme­nt inscrite dans ce texte: celle de rendre du pouvoir aux maires dans l’attributio­n des HLM. Une mainmise réclamée de longue date par les élus, mais qui risque de renforcer l’attributio­n de logements en échange d’un soutien politique. Il suffit de lire entre les lignes les rapports que l’Ancols, produit sur les offices HLM communaux, pour s’en convaincre : le logement est le principal levier du clientélis­me municipal.

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PHoTo THeo GiacomeTTi. Hans Lucas Le projet de loi prévoit aussi une réforme de la loi SRU sur les quotas de logements sociaux.

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