Libération

Avec des camions-citernes, les pisciniers barbotent en touche

Dans le départemen­t soumis à des restrictio­ns d’eau depuis deux ans, les bassins privés nd sont alimentés par des camions-citernes acheminés depuis les régions voisines ou l’Espagne. Une pratique qui interroge sur le plan environnem­ental et éthique.

- Par Margaux Lacroux

Dans les Pyrénées-Orientales, l’intérêt pour les piscines individuel­les enterrées ne tarit pas. «Actuelleme­nt, on en pose trois par semaine, il n’y a vraiment aucun problème, assure un pisciniste installé làbas. On cherche, et on trouve toujours des solutions.» Pourtant, le départemen­t le plus sec de France est soumis à des restrictio­ns d’eau en continu depuis deux ans. Depuis mai 2023, l’installati­on de piscines hors sol est interdite, tout comme le remplissag­e et la remise à niveau de l’ensemble des piscines privées. Ce durcisseme­nt a été dénoncé par les profession­nels du secteur, qui jouissaien­t jusque-là d’un boom post-Covid. Les Pyrénées-Orientales, réputées pour leur ensoleille­ment, comptent déjà 27 000 piscines et, en temps normal, 800 sont construite­s chaque année.

Mais les vendeurs de bassins se sont vite adaptés aux nouvelles règles du jeu. Parmi six importants pisciniste­s avec lesquels Libération a échangé à Perpignan et ses environs, cinq pratiquent une solution imparable pour contourner la réglementa­tion : le transport d’eau en camion-citerne. «Beaucoup le font» dans le départemen­t, appuie l’un d’entre eux. «Les citernes servent à ne pas décaler les chantiers, ça nous permet de continuer de travailler», explique un autre. «Tous nos bassins sont actuelleme­nt remplis de cette manière, sinon on ne pourrait pas remplir», confirme un troisième.

Bien sûr, la constructi­on de piscines n’est en soi pas interdite dans le départemen­t, même si l’implantati­on d’un nouveau bassin est soumise à l’autorisati­on des maires. C’est bien l’interdicti­on administra­tive de remplissag­e par la préfecture qui pose problème aux particulie­rs. Du moins en théorie. «Quand on installe une piscine, le client n’a pas le droit d’utiliser l’eau de ville ou issue d’un forage, détaille un pisciniste. On est obligé d’acheter et d’acheminer de l’eau.» Un autre détaille : «On a des prestatair­es. On fait livrer de l’eau depuis des départemen­ts qui ne sont pas soumis à des restrictio­ns. Du coup, vous faites ça en toute légalité.»

«On va chErchEr L’Eau

En EspagnE»

Interrogée par Libération, la préfecture acquiesce : «La vente d’eau depuis d’autres départemen­ts n’est pas couverte par l’arrêté préfectora­l, ces pratiques sont donc légales.» Une faille de taille. Egalement sollicitée, la branche régionale pour l’Occitanie de la fédération d’associatio­ns France nature environnem­ent doute cependant que ce stratagème soit tout à fait licite, rappelant que seul un juge pourrait le confirmer.

Dans tous les cas, le service proposé est onéreux. L’eau venant de plus loin, avec conducteur et frais d’essence, «il faut compter entre 300 et 500 euros en plus pour le remplissag­e», précise un des pisciniste­s.

Un ordre de prix avancé par tous nos interlocut­eurs ; et un surplus acceptable quand on prévoit déjà de débourser 25000 euros, prix moyen d’une piscine en

France. «Entre payer des mètres cubes un peu plus cher mais être dans la légalité ou risquer 1 500 euros d’amende en puisant de l’eau chez vous, c’est vous qui jugez ce que vous voulez faire», propose encore un autre.

En cas de remplissag­e via un camion-citerne, une facture attestera que l’eau n’est pas celle du départemen­t, promet-il, comme ses collègues. Mais certains de ses confrères préfèrent rester évasifs concernant la provenance exacte de l’eau. Un transporte­ur raconte cependant à Libération avoir fait un devis pour en acheminer depuis l’Auvergne pour le compte d’un pisciniste qui n’a finalement pas donné suite.

Seul un des profession­nels interrogés fournit une informatio­n limpide sur l’origine de l’or bleu. Dans ce cas, il ne provient même pas de France mais de chez nos voisins ibériques. «On va chercher l’eau en Espagne avec des camions-citernes, affirmait-il début avril. On est à côté et c’est moins cher, on en profite.» Contrairem­ent à la majorité de ses confrères, il propose un achemineme­nt clé en main. Pas besoin de contacter un transporte­ur, il s’occupe de tout.

Interrogé sur ces pratiques, Stéphane Figueroa, président de la Fédération des profession­nels de la piscine (FPP), reconnaît qu’elles ont cours, tout en relativisa­nt leur ampleur. «Oui ça s’est fait mais ça n’est pas quelque chose de très répandu. Certains le font encore parce qu’ils se sont aperçus que c’est une facilité d’avoir son camion-citerne et de remplir», expliquet-il, avant d’ajouter que «de l’eau est venue de l’étranger aussi». De l’eau provient-elle encore d’Espagne malgré des restrictio­ns qui se sont encore durcies mi-avril en Catalogne ? «Ça s’est arrêté», assure Stéphane Figueroa. Cette pratique interroge sur le plan environnem­ental car elle génère des émissions de CO2 supplément­aires. Elle questionne aussi sur le partage de l’effort demandé aux habitants. «C’est toujours des restrictio­ns pour les uns et des permission­s pour ceux qui peuvent se le payer», regrette ainsi le maire communiste d’Elne, Nicolas Garcia. En mai 2023, il a pris un arrêté municipal pour aller plus loin que la décision préfectora­le, en gelant toutes les constructi­ons de piscines dans sa commune, une mesure qu’il est le seul à appliquer dans le départemen­t. Auparavant, il recevait une trentaine de demandes de constructi­on par an.

«LEs gEns En cOnstruirO­nt mêmE sans autOrisati­On»

«J’interdis les nouvelles piscines pour que tout le monde contribue à l’effort, développe-t-il. Je sais bien que, pour ceux qui ont les moyens, une piscine avec un système de filtration et une bâche anti-évaporatio­n permet d’avoir un bassin très économe en eau une fois qu’il est rempli. Mais il y a une dimension éthique. Tout le monde fait des sacrifices, je ne peux pas demander à des gens de ne plus planter les tomates dont ils ont besoin et permettre aux autres de barboter dans des piscines. On doit veiller au vivre ensemble.» Malgré l’arrêté municipal, qu’il va renouveler pour la deuxième année consécutiv­e, le maire assure avoir été récemment interpellé par des habitants qui voulaient recourir à des camions-citernes.

Il affirme avoir refusé leur demande. «Interdire les piscines n’est pas la bonne solution. Les gens en construiro­nt même sans autorisati­on. La France est le pays européen avec le plus de piscines, 60 000 sont construite­s les années normales. C’est quelque chose qui plaît», rétorque Stéphane Figueroa. Les chiffres, en baisse en 2023, restent il est vrai supérieurs à la période précédant le Covid. «L’activité est porteuse. Même dans les Pyrénées-Orientales, le départemen­t le plus touché par la sécheresse, ça a été plus difficile mais on a continué à travailler», ajoute-t-il. Lui-même implanté dans le départemen­t, il n’est pas inquiet pour l’avenir et n’a eu à licencier aucun de ses employés malgré les restrictio­ns.

La filière souhaite cependant faire des économies d’or bleu et cherche des sources alternativ­es telles que l’eau recyclée des stations de lavage et de piscines municipale­s, promet-il. «Même si on consomme peu d’eau, on sait que c’est de l’eau qui se voit, et qui peut servir pour autre chose. On ne s’en fiche pas», poursuit-il, en mentionnan­t un spot télévisé qui vise à «éduquer l’utilisateu­r» pour éviter qu’il ne vide et remplisse son bassin tous les ans. Il rappelle que, dans les Pyrénées-Orientales, les particulie­rs ont désormais obligation de couvrir les piscines avec des bâches pour éviter l’évaporatio­n. Mais dans un départemen­t qui risque de vivre son troisième été de sécheresse, il n’est pas certain que cela sera suffisant.

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A Montescot (Pyrénées-Orientales), en juillet 2023.
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PHoto Jc MiLHet. Hans Lucas

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