Dans le Finistère, l’UE garde les enfants quand les parents travaillent
La communauté de communes de Haute-Cornouaille a lancé il y a vingt ans Loustic, un dispositif qui vient en aide aux habitants des environs travaillant sur des horaires atypiques.
Voilà une demi-heure que les enfants sont réveillés. Le petit-déjeuner avalé, les dents brossées, c’est maintenant l’heure d’enfiler les tenues d’école : un tee-shirt jaune pétant et une salopette tapissée de monstres. Ce vendredi, comme toujours, CharlesHenry, 6 ans, et son frère Paul-Louis, deux de moins, s’habillent pareil. Vêtue de sa blouse bleue, agenouillée au milieu de la chambre que partagent les deux petits garçons, Maryline Haag veille au grain. «Je laisse les enfants en autonomie, je les aide quand ils ont besoin», énonce l’aide à domicile de 58 ans. Justement, PaulLouis s’est emmêlé les pinceaux. «Tu as mis deux tee-shirts, fait-elle remarquer au cadet de sa voix posée. Elle dirait quoi, maman ? Qu’on n’était pas réveillés ce matin !»
Depuis «deux bons mois», Maryline vient prendre soin de la fratrie au lever du jour, quatre fois par semaine : elle arrive dès 4 heures, quand leur mère part au travail. Une sorte de garderie à domicile, baptisée Loustic service. Porté par la communauté de communes de Haute-Cornouaille, un territoire rural de 15000 habitants au centre du Finistère, le dispositif, 20 ans cette année, fait intervenir les salariés des trois structures d’aide à domicile du secteur, pour prendre le relais des parents qui travaillent à des horaires atypiques: de 4 à 8 heures et de 18 h 30 à 23 heures, sept jours sur sept, pour les enfants de 3 mois à 12 ans.
Un dispositif financé pour moitié par le Fonds social européen (FSE).
Parents seuls
Une aide conséquente qui rend le service très accessible : il en coûte 50 à 100 euros par mois à Olivia Lasne, la maman de CharlesHenry et Paul-Louis. La jeune femme de 29 ans tient une petite biscuiterie-salon de thé dans le centre de Châteauneuf-du-Faou, à deux pas de l’appartement familial. Séparée du père des enfants depuis l’automne, elle aurait «peut-être dû fermer boutique» sans Loustic. «J’ouvre à 11 h 30, je prépare tout toute seule et je fais pleins de choses différentes, c’est pour ça que je me lève aussi tôt», explique l’ambitieuse pâtissière dans sa petite cuisine biscornue, chargée de senteurs gourmandes. «Prendre une nounou, ça m’aurait coûté très cher.»
Quelque 50 familles bénéficient de Loustic service chaque année. Comme Olivia Lasne, 40 % à 50 % sont des parents seuls, très souvent des mères. 15 % des bénéficiaires travaillent dans le médico-social, 15 % dans le commerce et l’artisanat. Un tiers est employé dans l’agroalimentaire, prédominant dans l’économie locale. Loustic est d’ailleurs né d’une demande de l’abattoir du coin, qui peinait à recruter faute de solutions de garde. Les acteurs du territoire ont alors imaginé cette solution sur mesure. «Il y avait le souhait de préserver à la fois la vie de famille et professionnelle, mais aussi le rythme de l’enfant», retrace Virginie Porhiel, la responsable du service enfance jeunesse de la communauté de communes. Les financements européens ont permis de concrétiser l’idée. Aujourd’hui, le montant de l’aide atteint 100 000 euros. «Ce serait impossible sans. Peu de programmes permettent d’avoir ce volume en financements», souligne Virginie Porhiel. Avec les 55 000 euros versés par la Caisse d’allocations familiales, le reste à charge est acceptable pour la petite intercommunalité aux moyens modestes: 20000 euros en 2023. La participation des parents ne couvre que 10% des dépenses.
Difficultés de recrutement
Vingt ans après sa naissance, Loustic reste sur un fil. Les revalorisations salariales prévues par le Ségur de la santé ont bousculé l’équation budgétaire : le prix de l’heure est passé de 25 à 33 euros. Une hausse intégralement compensée par le FSE. Sinon, «ça ne tenait pas», souligne Virginie Porhiel. Si, à sa création, le dispositif a permis aux structures d’aide à domicile de proposer à leurs salariées, souvent en temps partiel subi, des interventions complémentaires sur une plus grande amplitude horaire, il est aujourd’hui fragilisé par les difficultés de recrutement dans l’aide à la personne. «Les auxiliaires ne veulent plus travailler à temps complet ni sur des horaires décalés», relève la responsable de service. Résultat : «On est parfois obligés de dire non à des familles», regrette Martine Quéméré, l’élue communautaire en charge du dossier.
Travailler pour Loustic impose beaucoup d’adaptation aux auxiliaires. «Avec les personnes âgées, les rendez-vous sont réguliers. Avec nous, elles doivent composer avec les horaires variables des parents, les pics saisonniers, les plannings qui changent d’une semaine sur l’autre, et parfois du jour au lendemain», déplore Virginie Porhiel, qui regrette aussi qu’aucune entreprise ne contribue au budget. C’est le chantier de 2024, indique Martine Quéméré : «On va aller rencontrer les entreprises pour les sensibiliser.»