«Le Blanc des cartes», l’envers à moitié vide
Les géographes Sylvain Genevois et Matthieu Noucher se penchent sur les espaces oubliés ou négligés des planisphères.
«S’il n’y a rien, c’est déjà qu’il y a quelque chose.» Cela sonne comme une réplique d’une pièce de Samuel Beckett, mais la réflexion revient à deux géographes, Sylvain Genevois et Matthieu Noucher.
Face au blanc d’une quarantaine de cartes créées par Xemartin Laborde, cartographe au Monde, ils analysent le vide. A savoir : les marges, ces «terrains vagues, friches agricoles ou industrielles […], souvent rejetés dans les néants de la carte parce que considérés comme indéfinis, non contrôlés voire “sauvages”». Ce sont des espaces oubliés, souvent «traversés, représentés, imaginés», parfois habités. Comme cette zone blanche de 33 000 km² «à la frontière entre la Virginie,
la Virginie-Occidentale et le Maryland» où «l’utilisation du téléphone portable et du Wi-Fi est interdite». Les «Wi-Fi refugees», fuyant les «ondes électromagnétiques», cherchent à se retirer dans cette «Quiet Zone» définie en 1958 par la Federal Communications Commission.
L’art de la cartographie – aussi défini comme un «art de l’omission» – n’est pas neutre. «Les blancs des cartes […] offrent une focale d’analyse particulièrement pertinente pour dévoiler d’autres réalités voire ouvrir sur d’autres mondes.» D’un point de vue sociologique, le vide «dit plus que le plein». Le silence des cartes est aussi politique : «Les acteurs de la colonisation ont, en effet, participé très largement au blanchiment des cartes en effaçant certains repères pour créer de toutes pièces un espace vide qui devenait un espace à conquérir.» Et à récupérer des années plus tard par les minorités autochtones invisibilisées. Fin de partie pour les cartographes de l’héritage colonial. Les zones blanches disparaissent, remplacées dans cet atlas par différentes nuances de vert, lequel devient «constitutif» du planisphère. Il s’agit de révéler les «vides cartographiques» et leur «potentiel heuristique […] et donc, in fine, l’importance [de les] éclairer». Au Groenland, près de 88 % de la population est autochtone, 45 % en Algérie ou en Bolivie contre 5 % au Canada. Ces peuples «réaffirment aujourd’hui leur présence sur la carte et font valoir leurs droits fonciers» «pour la sécurisation de leurs territoires». En révélant les blancs, le regard est inversé – l’invisible devient visible ; l’absence de couleurs, une valeur et non plus une «terrae incognitae».
CharLine Guerton-DeLieuVin
SyLVAiN GENEVoiS ET MATTHiEu NouCHER
le Blanc des carTes. Quand le vIde s’éclaIre Cartes par XEMARTiN LABoRdE Autrement, 128 pp., 29 €.