Une simplification de la feuille de paie ou des esprits ?
Les salariés sont des idiots. Au-delà de quelques lignes de texte, surtout mélangées à des chiffres, ils ne comprennent plus rien. D’où cette impérieuse réforme de la feuille de paie, annoncée le 23 avril par le ministre de l’Economie, et accueillie avec soulagement par un monde du travail forcément un peu nigaud. Composé aujourd’hui d’une trentaine de lignes, avec des mots aussi abscons que «maladie», «accident du travail», «retraite», ou encore «chômage», et des colonnes tout aussi mystérieuses que «part salarié» et «part employeur», le récapitulatif du revenu mensuel se limitera désormais à une dizaine de lignes.
En tête: le «coût total employeur». Car le salarié est avant tout un «coût», et non plus, associé au capital, un créateur de valeur comme il l’était jusqu’à présent. Un coût total, nous apprend la nouvelle feuille de paie, dont il faut déduire les cotisations employeurs, pour obtenir le brut salarié, puis les cotisations salariales, pour faire apparaître le net salarié. Et enfin l’impôt sur le revenu pour tomber sur le net à payer.
Première remarque: cette présentation laisse penser que la base du calcul des cotisations est le «coût total employeur». Ce qui est évidemment faux. Le point de départ reste le brut salarial, sur lequel chacune des deux parties, l’employeur et le salarié, paie des cotisations. Pour le salarié, ses cotisations viennent en déduction de son salaire brut, pour obtenir le net, ce qu’il touchera concrètement avant de payer son impôt sur le revenu. L’observation n’est pas que technique : une politique de réduction des cotisations employeur, par exemple, ne changera rien au salaire net du salarié. Alors qu’une baisse, ou une hausse, des cotisations salariales, modifiera d’autant son salaire net.
Cette réforme, surtout, et c’est peut-être son objectif réel, fait entièrement disparaître les raisons du paiement de ces cotisations. Et leur répartition entre salarié et employeur. Tout n’est plus que «coût», pour ne pas dire «charge». Fini le détail qui permet de comprendre que ces cotisations financent en réalité la retraite, les allocations familiales, l’hôpital, ou encore l’assurance chômage. La confusion est telle que la nouvelle feuille de paie mélange même, pour l’employeur, ses cotisations sociales avec sa contribution aux transports ou aux titres-restaurants.
Le caractère idéologique d’une telle réforme – qui revient donc à invisibiliser le financement de la protection sociale – paraît d’autant plus prégnant qu’il ne s’agit en rien d’une «simplification» administrative. L’employeur devra toujours établir, dans sa comptabilité, une feuille de paie retraçant chaque ligne de cotisation. Pour preuve : la feuille de paie actuelle est déjà simplifiée. Ce que chacun reçoit aujourd’hui à la fin du mois est un résumé de la feuille de paie «réelle», depuis une réforme opérée il y a une dizaine d’années. Que l’on rassemble encore quelques contributions pour une meilleure lisibilité est une bonne chose. Mais supprimer complètement le montant détaillé et la destination de ces cotisations relève d’une profonde atteinte à l’information des salariés, des syndicalistes, et accessoirement des journalistes travaillant sur ces questions.
Dernier problème, enfin, et non des moindres: la preuve des cotisations retraite. Aujourd’hui, le bilan des trimestres cotisés est réalisé par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), et peut être obtenu via des relevés ou une visite sur son compte personnel. Mais en cas d’erreurs de la part la Cnav, le seul mode de preuve est la feuille de paie. Quid demain avec un relevé où ne figurera plus le détail de chacune des cotisations ? Où plus personne ne saura qui a payé quoi? De quoi engendrer une belle pagaille, et potentiellement léser certains retraités, dans les années à venir.