Agression mortelle à Grande-Synthe : la ville agitée par la peur et les rumeurs
Dans la commune du Nord, où un jeune homme de 22 ans est mort mardi après un sauvage passage à tabac, l’effroi des habitants ne retombe pas. Face aux réactions épidermiques, le maire de la ville invite la population à faire preuve de sang-froid.
Un jeune homme tout sourire dans un polo gris, sur fond de ballons verts d’anniversaire. Cette image, c’est celle que l’entourage de Philippe C., un habitant de Grande-Synthe (Nord) de 22 ans, voudrait conserver de lui. Pour remplacer celles, terribles, postées sans aucun contrôle sur les réseaux sociaux après son agression mortelle, dans la nuit de lundi à mardi. Que s’est-il exactement passé ? Dans la commune du Nord aux 20 000 habitants, meurtrie et choquée, plusieurs versions s’affrontent. Les rumeurs enflent, alimentant de vives tensions. Le jeune travailleur social a-t-il été victime d’un guet-apens tendu par des agresseurs se faisant passer pour une jeune femme par le biais du site de rencontres Coco, comme semblent l’indiquer certaines sources? Ou laissé pour mort sur le parking d’un supermarché à la suite du vol de son téléphone portable alors qu’il revenait à pied d’une soirée, comme l’affirment un membre de sa famille et deux de ses amis ?
Son agression en pleine nuit, dans une zone proche de la mairie, a été d’une violence inouïe. «C’est de la barbarie, tout simplement», a commenté son frère Kelvyn, hébété, devant les caméras de télévision. Philippe C. a été retrouvé vers 2 heures du matin, inconscient, avec plusieurs traces de coups et des fractures au visage. Hospitalisé en réanimation, «il est décédé [mardi] soir des suites de ses blessures», a annoncé le parquet de Dunkerque. Une enquête pour «meurtre en bande organisée» est ouverte, confiée à la police judiciaire de Lille. Deux mineurs de 14 et 15 ans, interpellés et placés en garde à vue, ont été auditionnés mercredi. Un troisième agresseur serait toujours recherché par les autorités.
«Non-droit». «Dans ces moments difficiles pour notre ville, je vous demande de garder votre sang-froid et de ne pas céder aux injonctions, aux dérapages sur les réseaux sociaux et dans la vie de tous les jours», implorait dès mardi soir le maire socialiste de Grande-Synthe, Martial Beyaert, dans un message vidéo posté sur le compte Facebook de la commune. Dans les posts rédigés par les habitants, l’émoi ressenti après cette «tragédie» laisse la place à l’effroi : «Maintenant on vit dans la peur» ; «Notre ville est devenue bien dangereuse, […] je n’ose même pas me rendre dans certains commerces de proximité tellement on se sent peu en sécurité.» «Ne cédons pas à la peur, ni à l’esprit de vengeance», martèle l’édile, inquiet de possibles représailles. Au cours d’une conférence de presse, mercredi, il a évoqué «les exactions de la fachosphère» et rappelé que Grande-Synthe n’était «pas une zone de non-droit». Des appels au calme qui ne semblent pas porter, alors que circulent sur Twitter, Snapchat ou TikTok des photos de trois adolescents présentés comme les agresseurs de Philippe C., accompagnées de commentaires menaçants. Une avalanche de messages acres et pleins de rancoeur, désignant des coupables nommément, alors que les informations fiables manquent encore cruellement sur cette affaire.
Deux mineurs de 14 et 15 ans, interpellés et placés en garde à vue, ont été auditionnés mercredi.
«Aimé». Le spectre d’autres agressions similaires, s’étant produites récemment dans le même secteur, alimente les conversations. Quelques jours avant le meurtre sauvage du Grand-Synthois, une autre attaque avait été signalée à la police. Celle d’un homme de 39 ans, appâté par un rendez-vous intime pris sur un site de rencontres avant de se retrouver piégé par des individus armés de battes de base-ball qui auraient tenté de l’extorquer avant qu’il ne parvienne à s’enfuir sain et sauf. Les enquêteurs cherchent à savoir si les faits sont liés et s’il pourrait s’agir des mêmes auteurs.
«Ceux qui se sont rendus coupables de ce massacre devront répondre de leurs actes, quel que soit leur âge», a tonné Xavier Bertrand, jeudi matin, sur BFM TV. Pour le président des Hauts-de-France, «l’excuse de minorité ne doit plus être appliquée systématiquement». «Si on veut mettre un terme à ces massacres, parce que Philippe a visiblement été massacré, il faut des sanctions et des réponses qui soient dures», a-t-il affirmé, faisant référence à plusieurs autres affaires de violences perpétrées par des jeunes ces dernières semaines, comme celle de Shemseddine à ViryChâtillon (Essonne), tabassé à mort devant son collège. Sur les lieux de l’agression de Philippe C., à Grande-Synthe, les premières gerbes de fleurs ont été déposées. Une marche blanche est organisée ce vendredi à 11 heures devant le lycée du Noordover, où a été scolarisé le jeune homme qui «n’avait d’embrouilles avec personne». Quelqu’un «d’aimé», «qui rendait service à tout le monde», selon ses proches. La marche terminera sa course sur le lieu du drame, un parking près du Carrefour City, à deux pas de l’hôtel de ville.