A69 «Aucun service de l’Etat n’a donné son aval pour le début des travaux dans le bois de Saix»
Après plus de deux mois d’auditions à l’Assemblée autour du projet autoroutier qui doit relier Castres à Toulouse, la députée les Ecologistes Christine Arrighi, rapporteure de la commission d’enquête, pointe de graves manquements de la part des autorités. Et accuse le concessionnaire Atosca de mentir sur les coupes d’arbres et les mesures compensatoires environnementales.
Réussira-t-elle à faire la lumière sur le nébuleux dossier de l’A69 ? En février, une commission d’enquête a été ouverte à l’Assemblée nationale à l’initiative des députés écologistes sur «le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69» qui doit relier Toulouse et Castres, dans le Tarn, d’ici 2025. Ce projet controversé, qui s’étend sur 53 kilomètres et entraîne la destruction de 370 hectares dont plus de 300 de surfaces agricoles, cristallise la lutte de militants écologistes et de scientifiques depuis plusieurs mois. Dénonçant l’«opacité» de ce montage et soucieux d’«éclaircir les liens entre la société Atosca et certains responsables politiques, membres du gouvernement ou élus locaux», les parlementaires achèvent d’explorer le volet environnemental de l’affaire. La députée les Ecologistes de Haute-Garonne, Christine Arrighi, rapporteure de cette commission et farouche opposante à l’A69, fait un bilan d’étape et fustige «les mensonges» d’Atosca, le non-respect des mesures compensatoires et une répression policière dont la légalité est contestable à ses yeux.
Où en sont les travaux de la commission d’enquête de l’Assemblée sur l’autoroute A69 ?
La première phase des auditions, consacrée au volet environnemental, vient de s’achever par la prise de parole de deux avocats spécialisés dans ce type de dossier. Tous deux suggèrent de faire évoluer le droit concernant la
déclaration d’utilité publique et l’autorisation environnementale afin d’éviter de se retrouver avec un projet aussi anachronique et absurde que celui de l’A69.
Qu’avez-vous appris jusqu’ici sur les travaux en cours dans le Tarn ?
Il y a eu plusieurs révélations, notamment sur les mensonges du concessionnaire, Atosca. En septembre Clément Beaune, alors ministre des Transports, a dit que pour un arbre abattu, il y aurait cinq arbres plantés. Eh bien c’est faux. Ce chiffre, un mantra du concessionnaire, ne figure nulle part, ni dans les arrêtés préfectoraux interdépartementaux de mars 2023 accordant les autorisations environnementales ni dans le contrat de concession de cinquante-cinq ans passé entre l’Etat et Atosca via un décret d’avril 2022. Lors de son audition, le directeur général de la société, Martial Gerlinger, a usé d’un argument mémorable : ce slogan serait «une simplification de communication» qui «passe mieux à la télé ou dans les médias». Des élus locaux favorables au projet jusqu’au sommet de l’Etat, tout le monde a répété ce mensonge… C’est extravagant. Concrètement, Atosca sait combien d’hectares de forêt ont été abattus mais n’a aucune idée du nombre d’arbres mis à terre, encore moins de leur âge ou de leur essence.
Avez-vous mis au jour des irrégularités parmi les mesures compensatoires pour la biodiversité promises par le concessionnaire autoroutier ?
Oui. Depuis la loi de reconquête de la biodiversité de 2016, chaque hectare artificialisé doit être compensé selon un coefficient qui diffère selon la richesse en biodiversité de l’espace détruit. Ici, des terres agricoles ont été qualifiées à tort par Atosca de terres artificialisées, comme si c’étaient des parkings! Or, même si elles ne sont pas en bio, elles peuvent être régénérées et doivent bénéficier de mesures de compensation. Il y a également eu des erreurs sur la qualification de zones inondables et humides. Les procédures et le calendrier ont été respectés, les consultations nécessaires menées mais le fond des études n’est pas suffisamment documenté. Et, dans certains cas, les analyses sont contredites par plusieurs experts.
Depuis février, anti et pro A69 s’écharpent sur les travaux de déboisement dans le bois de la Crémade à Saix, là où des militants écologistes se sont perchés dans les arbres pendant quarante jours. Les premiers jugent les coupes illégales dans un lieu classé «à haute valeur environnementale» par l’Etat, les seconds arguent qu’il a été déclassé. Les auditions ont-elles permis de les départager ?
Elles ont révélé que, pendant plus de deux mois, un impressionnant arsenal policier a été déployé par le préfet en toute illégalité pour déloger les «écureuils» [les activistes, ndlr], violences à l’appui. Le bois est bien classé à haute valeur environnementale et donc les travaux ne pouvaient commencer avant le 1er septembre 2024. Encore une fois, Atosca a menti au sujet du déclassement du bois. Une telle procédure ne peut se faire sans qu’un écologue se rende sur place et que la Dreal [Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, ndlr] n’ait analysé le dossier. Le directeur de la Dreal Occitanie, Patrick Berg, nous a expliqué qu’il avait reçu des éléments d’Atosca «peu démonstratifs et peu conclusifs», qu’il n’avait jamais autorisé le déclassement de ce bois et qu’il n’avait pas validé la coupe des arbres depuis février. Les écureuils protégeaient donc ces bois légalement. En parallèle, des nidifications de mésanges ont été observées sur le site. Lorsque les agents de l’Office français de la biodiversité ont constaté, à la demande du procureur, qu’il y avait bien des nids, tous les travaux ont été arrêtés.
L’Etat n’avait donc pas donné son feu vert pour que le chantier commence ?
Exactement. Aucun service de l’Etat n’avait donné son aval pour le début des travaux dans ce bois. Les mésanges sont arrivées à point nommé mais même sans elles, l’opération de délogement des militants n’avait pas lieu d’être. Un préfet qui mobilise tant de forces de l’ordre sans base légale, c’est inquiétant. Il est rare que ces hauts fonctionnaires prennent des initiatives personnelles. Tout s’explique par une ambiance générale : au plus haut niveau de l’Etat, il a été décidé que l’autoroute devait se faire. L’arrêté à venir du ministère de la Transition écologique qui met l’A69 dans la liste des projets d’exception du Zéro artificialisation nette (ZAN) visant à lutter contre l’artificialisation des sols en est une nouvelle illustration [424 autres chantiers, dont des projets miniers et nucléaires, seront comptabilisés dans une enveloppe nationale, ndlr].
Quel message le gouvernement envoie-t-il en inscrivant l’A69 dans cette liste d’exception ?
C’est un message fort dans le cadre de la réindustrialisation portée par le ministre Roland Lescure. Mais, l’Etat et les collectivités locales jouent ici à un jeu de poker menteur. Pendant des années, les élus locaux ont demandé à l’Etat de participer financièrement à l’élargissement de la RN 126, la route nationale entre Toulouse et Castres qui jouxte le tracé de la future autoroute. A l’époque, le mantra de l’Etat, c’était la libéralisation, sur fond de puissance du lobby autoroutier. Et puis une autoroute, ça ne coûte qu’aux usagers ! A cette époque, le volet environnemental n’a pas intéressé les élus, sauf quelques militants attachés à la protection de la biodiversité, à la qualité des sols ou à la préservation de l’eau. On prévoyait pourtant de bitumer une plaine très fertile, ce qui paraît ahurissant au regard de la nécessité de souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, pour ces mêmes collectivités locales, il ne faudrait pas que l’A69 les empêche de rentrer dans les clous de la loi ZAN. D’où la demande qui a été faite, certainement au niveau local, que l’A69 rentre dans le quota national.
La suite des auditions portera sur le volet économico-social et financier. Sur quels points centrerez-vous vos questions ?
Le premier objectif est de donner des réponses aux questions que l’on se pose quand on privatise le secteur routier, un bien commun dont l’accès est gratuit car assumé par la solidarité nationale fondée sur l’impôt. Il est stupéfiant que les partisans de cette autoroute n’aient pas exigé des réponses avant d’acquiescer à ce projet, en particulier sur le prix du péage dans les années à venir pour tous types de véhicules. Le deuxième est de révéler ce que le concessionnaire et l’Etat souhaitent garder dans l’ombre puisqu’ils utilisent la loi de 2018 sur le secret des affaires pour ne pas communiquer sur le contrat de concession, ce qui est contestable. Les annexes de ce contrat sont grisées mais moi, j’ai pu les obtenir en intégralité dans le cadre de mes fonctions. Il y a clairement un problème. Que cache-t-on dans cette affaire ?
Cela fait écho aux procédures en cours menées à l’initiative de l’ancien élu écologiste Raymond Avrillier dans le cadre de l’affaire des concessions d’autoroutes…
Tout à fait. Il s’est engagé dans une longue bataille pour faire la lumière sur les documents relatifs au Plan de relance autoroutier, signé en 2015 par Emmanuel Macron et Ségolène Royal [alors respectivement ministres de l’économie et de l’écologie, ndlr], avec les concessionnaires autoroutiers. En 2020, une commission d’enquête sénatoriale avait pointé le manque à gagner pour l’Etat dans la vente du réseau autoroutier et la confortable rentabilité de Vinci et Eiffage qui gèrent aujourd’hui ces infrastructures. De plus, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris visant Bruno Le Maire [et la secrétaire générale du gouvernement Claire Landais, ndlr] pour présomption de «faux en écriture publique». Dans le dossier de l’A69, on se retrouve face à un contrat de concession qui semble contenir les mêmes errements que les contrats précédents. Tout le monde était pourtant alerté sur le sujet! Après, une commission d’enquête n’est pas une instance juridictionnelle. Libre à chacun de se saisir de nos révélations comme il le souhaite.