La dangereuse banalisation du bannissement
L’interdiction du meeting de Jean-Luc Mélenchon à l’université de Lille mercredi, suivie de l’interdiction jeudi du meeting de remplacement prévu par les insoumis dans une salle privée, est un scandale liberticide. Non, ceci n’est pas un édito de journalope gauchiasse islamogauchiste mais bien un billet libéral. L’interdiction d’événements ou la dissolution d’associations sont devenues une habitude, une revendication de haineux autoritaires qui se plient à la pression médiatique des chaînes bollorisées et bien au-delà, une manie prise par de nombreux acteurs (politiques ou commentateurs) de la grande conversation nationale. Pour lutter contre les extrêmes, les «raisonnables», les autoproclamés membres du «cercle républicain» utilisent des procédés rhétoriques d’abord, coercitifs ensuite, de ce qu’ils sont censés combattre : l’extrémisme.
Ils s’insurgent contre la «polarisation des débats», cependant ils créent un troisième pôle autoritaire, certes, sur des positions idéologiques sensément plus modérées mais en réalité, puisqu’ils ont en main les manches du pouvoir, presque tout aussi dangereuses pour les libertés. Il ne s’agit pas d’encombrer ce billet de LA citation de Voltaire mais de rappeler l’esprit de ce que Léon Blum appelait «l’une des rares lois républicaines de la République», la loi de 1881 sur la liberté de la presse et par extension la liberté d’expression. L’interdiction d’un meeting doit être le résultat exceptionnel et rare, surtout s’agissant d’une réunion organisée par un parti ayant pignon sur rue, représenté à l’Assemblée nationale, d’un risque grave de trouble à l’ordre public. La présidence de l’université de Lille puis le préfet ont donc considéré que trouble à l’ordre public il y aurait : «Les conditions ne sont pas réunies pour garantir la sérénité des débats.» D’où vient le risque de violence pointé par les autorités ? De ceux qui devaient venir assister à la réunion ou de ceux qui voulaient qu’elle n’ait pas lieu ? Un autre motif d’interdiction eut été que le caractère antisémite de la réunion ne fasse aucun doute. Mais l’antisémitisme est puni par la loi et les positions de LFI, aussi critiquables soient-elles, ne relèvent pas de l’antisémitisme et n’ont jamais été condamnées pour cela. L’antisionisme, souvent cache-sexe de l’antisémitisme, ne l’est pas, jusqu’à
nd preuve du contraire, s’agissant des membres du parti de JeanLuc Mélenchon. La position propalestinienne des insoumis, dans la tradition jamais contestée de la gauche radicale ou du Parti communiste, ne nie pas non plus (même avec la carte qui a déclenché le scandale) l’existence d’Israël. La position officielle du parti varie entre la solution à deux Etats, et le pays unique, fédéral ou républicain, composé des deux communautés. On peut regretter que JeanLuc Mélenchon ait fracturé la gauche en refusant de qualifier l’attaque du 7 Octobre d’acte «terroriste», on peut accuser les amis de Jean-Luc Mélenchon de faire du clientélisme communautaire avec l’imagerie verte, rouge, noire et blanche du drapeau palestinien pour s’attirer le vote des quartiers peuplés en majorité par des musulmans, comme d’autres élus, dans d’autres villes, peuplées de nombreux Juifs, font de même en adoptant un soutien sans faille à Benyamin Nétanyahou. Ce sont des débats politiques avec leur procès d’intentions, leurs petites stratégies ou leurs réalités… Mais que ces débats poussent un président d’université, puis un préfet, à l’interdiction d’une réunion publique, voilà qui signe bien la banalisation du bannissement. L’interdiction du meeting de Lille se situe dans la lignée pathétiquement antilibérale (au sens tocquevillien des libertés politiques) des interdictions «systématiques» (heureusement supprimées par le Conseil d’Etat), des manifestations propalestiniennes d’octobre, mais aussi de la dissolution (heureusement supprimée par le Conseil d’Etat) des Soulèvements de la Terre et de l’interdiction (heureusement supprimée par le Conseil d’Etat) d’un colloque de l’Action française en mai 2023. L’approbation enthousiaste de bien des membres de la majorité après chaque interdit, puis le rappel salutaire de la justice administrative, là où elle est compétente, dit plus de la crise qui sévit chez les libéraux que de la dérive des extrêmes.