A Washington, l’espoir d’un vote positif pour l’aide à l’Ukraine
Des tractations compliquées pourraient permettre le vote ce week-end du Congrès américain en faveur d’un soutien massif de 61 milliards de dollars à Kyiv, qui en a désespérément besoin.
Loin du front du Donbass, une autre bataille s’éternise au Congrès américain, dont l’issue pourrait bien décider du sort de l’Ukraine, et de la crédibilité des Etats-Unis. Elle oppose les membres de la mince majorité républicaine à la Chambre des représentants, pour les deux tiers opposés à une aide militaire à Kyiv, un président républicain de la chambre, le speaker Mike Johnson, en butte aux attaques des extrémistes de son propre parti hostiles à tout compromis, une aile gauche démocrate furieuse du soutien inconditionnel accordé à un autre allié, Israël, dans sa guerre à Gaza, et bien sûr, le candidat Donald Trump, qui prêche le retrait isolationniste auprès d’une opinion déboussolée par la désinformation et de plus en plus lasse des engagements internationaux des Etats -Unis.
Saucissonner. Joe Biden, sans illusions, a tenté en février dernier de trancher ce noeud gordien en soutenant un projet de loi de financement militaire de 95 milliards de dollars (90 milliards d’euros) à l’Ukraine et à Israël. Votée facilement par le Sénat, avec l’appui de 22 républicains, cette aide conjointe a provoqué un tollé dans les rangs républicains de la Chambre et n’a même pas été présentée au vote par Mike Johnson, lui-même menacé des foudres de l’extrême droite de son parti dans l’hémicycle. Après sa rencontre à la Maison Blanche du même Johnson avec Joe Biden, le 27 février, le pèlerinage contrit de Mike Johnson chez Donald Trump, à Mar a Lago, le 12 avril, semble pourtant avoir débouché sur une proposition alternative, qui pourrait être votée ce week-end. Le speaker offre de saucissonner cette enveloppe globale de 95,3 milliards en trois projets de loi distincts, apportant pour l’un 61 milliards de dollars (57 milliards d’euros) d’aide à l’Ukraine, dont plus du quart servira à reconstituer les stocks d’armes américains ; pour l’autre 26 milliards de dollars d’aide à Israël, dont 9 milliards destinés à l’aide humanitaire à Gaza. Huit milliards sont prévus pour soutenir les pays alliés de la zone indopacifique face aux pressions croissantes de la Chine dans la région. Pour la forme, en guise de concession aux durs du parti, et en particulier à Donald Trump, qui affiche son hostilité à l’aide internationale dans tous ses meetings de campagne, les fonds sont distribués sous forme de prêts dont le remboursement pourrait être annulé par le gouvernement américain.
Coup de théâtre. Sur CNN, qui demande à Johnson pourquoi cette option, certes alambiquée, n’a pas été proposée plus tôt, alors que le président ukrainien Volodymyr Zelensky supplie le Congrès depuis des mois, le speaker a répondu : «Il faut du temps pour établir des contacts, et trouver un consensus. Surtout quand on dispose de la plus faible majorité de notre histoire.» Cette majorité de moins d’une dizaine de sièges donne un pouvoir démesuré à la frange extrémiste républicaine du Freedom Caucus, guidée directement par les harangues de Donald Trump et réticente à accorder l’aide à l’Ukraine. Johnson, aussi conservateur soit-il, doit se résoudre à solliciter l’appui des démocrates pour ce triple plan, quitte à envenimer encore ses relations avec l’ultra-droite qui menace de lui infliger un vote de destitution de son poste de leader de la majorité. De plus, le déblocage en cours s’explique non pas par les avancées russes dans le Donbass, mais par les rebondissements au MoyenOrient. La nuée de drones lancée par l’Iran samedi dernier a rendu plus urgent que jamais le vote par les républicains de l’aide à Israël, seul allié digne de soutien pour la droite, jusqu’alors gelé par les pro-Trump en raison de son couplage avec le soutien à l’Ukraine. Joe Biden, de son côté, qui exigeait jusqu’alors un vote conjoint pour les deux aides, a donné son accord de principe, mercredi 17 avril, pour ce vote en tranches, en espérant calmer les réticences démocrates. Ces élus, surtout depuis la mort de sept travailleurs humanitaires à Gaza en mars, s’inquiètent de la fureur des jeunes électeurs, et des électeurs d’origine arabe du Michigan, un swing state décisif pour la présidentielle de novembre, contre la mansuétude de la Maison Blanche à l’égard de Nétanyahou. Pour éviter un nouveau coup de théâtre des républicains, qui exigeaient un couplage de l’aide à l’Ukraine avec un plan interne et national de lutte contre l’immigration clandestine, décrit comme le défi primordial à la nation, Johnson propose un texte séparé prévoyant le renforcement des contrôles, voire la fermeture de la frontière avec le Mexique, que seuls les républicains pourraient voter. Aussi distincts soient-ils, ces multiples projets s’entremêlent dans les tractations en coulisses dans un Congres livré au chaos. Complication supplémentaire : les textes seront regroupés après leurs votes éventuels pour obtenir l’acquiescement du Sénat, doté d’une infime majorité démocrate. Un nouveau blocage serait alors possible. Quant à Johnson, honni par la droite de son parti pour avoir seulement pactisé avec les démocrates pour la reconduction des dépenses de l’Etat, afin d’éviter la fermeture du gouvernement des Etats-Unis en début d’année, il est encore à la merci d’une insurrection dans son camp ce week-end. D’autant que pour aider l’Ukraine, en sauvant l’honneur du Congrès et des Etats-Unis, ce Trumpien convaincu a plus que jamais besoin de résoudre l’impasse politique et de solliciter l’aide des démocrates pour sauver sa tête.